Dans son livre « Déjeunons sur l'herbe », Guillaume Durand fait appel à Sophie Chauveau pour démêler les relations entre Edouard Manet et Berthe Morisot. « La biographie de Sophie Chauveau cherche à soulever les voiles, écrit-il, car sinon les oeuvres n'ont aucun sens. » La fièvre Masaccio est donnée comme un roman : en effet Sophie Chauveau propose tout ce que l'on sait sur son sujet. Pour ce que l'on ne sait pas, elle invente avec talent ce qui est vraisemblable. D'où le jugement mérité signé Angelo Rinaldi : « Dès qu'une romancière a le souffle et l'imagination d'une Sophie Chauveau, tout devient exact. » La vie de Masaccio fut extrêmement courte (1401-1427) et pour la raconter l'auteure choisit de la répartir en courtes séquences. D'abord, au Val d'Arno près de Florence, une enfance et une adolescence dominées par les épidémies de peste. Le jeune Tommaso était claquemuré dans la maison-menuiserie paternelle où il en avait assez vu et appris dès 14 ans pour vouloir passionnément devenir peintre. Pour cela, malgré tous les obstacles, il fallait aller à Florence qui avait bloqué ses portes jusqu'à la fin de l'épidémie.
Quand, à 17 ans, il entre enfin dans la capitale de la Toscane durement éprouvée par la peste, il ne connaît personne. Par miracle, la première porte où il frappe est celle de Donatello qui lui fait bon accueil. Le sculpteur a un proche ami, l'architecte Brunelleschi, qui lui aussi ouvre les bras au jeune et timide Masaccio. Entre 1419 et 1421 ils lui trouvent une logeuse, le présentent pour un triptyque à Cascia qu'il réalise rapidement avec virtuosité. Timide, le jeune peintre n'en est pas moins parfaitement conscient de son génie : pour la première fois dans l'Histoire, il signe le triptyque de son nom. Vient alors, en avril 1422, la commande par un certain seigneur Felice di Brancacci de la décoration de la chapelle qu'il vient de faire édifier, adossée au Carmine. Non pas des fresques, mais des peintures sur toute la surface. La commande va à deux artistes : le très jeune Masaccio, et l'artiste confirmé qui a le double de son âge, Masolino. Ce dernier est un mondain qui appartient au gothique international. Sophie Chauveau raconte très bien comment les deux peintres se sont sans doute jaugés. Masolino a vite compris l'énorme supériorité du jeune novateur, qui va au plus près du réel, sur le gothique appliqué aux stéréotypes avec lesquels il est incapable de rompre, mais il entend faire respecter leur égalité contractuelle.
Masolino étant parti en 1425 pour travailler à la cour de Hongrie, Masaccio a assumé dans la douleur une commande à Pise, puis est revenu à Florence à la demande de Brancacci pour achever la Sagra dans le cloître du Carmine, sa première oeuvre solitaire dans le cloître vert. L'ensemble du polyptyque relate la consécration de l'église Santa Maria del Maggiore en 1422. Le polyptyque a été démembré, il n'en reste qu'une Vierge à l'Enfant, une Crucifixion et trois morceaux de la prédelle : assez pour comprendre l'importance historique de l'oeuvre, par laquelle Masaccio a donné naissance, en même temps que ses amis Donatello et Brunelleschi, mais aussi Ghiberti, à la Renaissance. Arrive 1427, Donatello et Brunelleschi forcent littéralement Masaccio à accepter une nouvelle commande pour la deuxième chapelle, à gauche dans la nef de Sainte Marie Nouvelle à Florence. Brunelleschi y travaillera aussi, pour la voûte à caissons qui va trouer l'espace par l'application de ses théories de la perspective. Ce chef-d'oeuvre sera le dernier de Masaccio : il disparaît et l'on ne le retrouvera que plusieurs jours plus tard, mort dans une ruelle. Là, Sophie Chauveau ne peut donner d'explication. Ni aucun des nombreux historiens de l'art qui ont échafaudé des hypothèses. Ce livre, évidemment, est aussi passionnant que les précédents (éditions Télémaque).
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