Harry Gruyaert, Photo Poche, s. p., 13, 90 euro.
Contrairement à ce qu'on peut dire, la photographie en couleurs existe depuis le début du siècle. Même le film en couleurs a été utilisé dès 1919 avec le défilé de la victoire en 1919. Mais son coût et certaines difficultés techniques ont fait qu'elle n'a pas pu être utilisée couramment avant l'après-guerre. Harry Gruyaert, originaire d'Anvers, a été l'un des pionniers en la matière, faisant le choix de ne pas faire des photographies en noir et blanc. C'est un choix esthétique qui lui a permis de développer un style qui pouvait donner toute leur dimension à ses paysages. Il a commencé sa recherche au cours des années soixante-dix, à une époque où cette technique ne posait plus un véritable problème et est déjà utilisée dans les périodiques ou les livres. Mais encore fallait-il pour lui trouver comment l'utiliser pour trouver une homogénéité plastique qui, de plus, puisse rendre ses intentions. Ses travaux se situent entre le reportage géographique, mais rendu d'un point de vue très personnel et l'imagination d'un pittoresque qui échappe aux clichés du genre.
En somme, ses photographies sont souvent une élaboration artistique plus qu'un document. Il utilise aussi, de temps à autre, le procédé du collage. Son atitude le place à mi-chemin entre la pure création et la volonté de faire découvrir des lieux qui sont merveilleux. Il introduit chaque fois une sorte d'étrangeté, mais sans jamais verser dans l'excès de la bizarrerie - c'est une nuance subtile, une sorte de signature. Il a ainsi le mérite de produire une oeuvre originale et curieuse qui le distingue de ses contemporains. Avec lui, on découvre bien des lieux de notre planète avec un oeil à la fois émerveillé et intrigué.
Arbres, Anne Sefriou, Edition Hazan, coffret + livret, 35 euro.
Cet ouvrage est vraiment délicieux. C'est une façon de découvrir la Nature vue à différentes époques et selon différents styles de peinture. La vision que les artistes ont pu avoir de nos forêts et de nos bois n'a pas cessé de changer pour de nombreuses raisons différentes. Pendant la Renaissance, on peut observer des plantes très réalistes et d'autres qui sont inventées. Peu à peu une relation plus étroite avec ce que la Nature offre au regard s'est établie. Par exemple, la forêt que Paolo Uccello a peinte dans La Chasse nocturne a tendance à rendre en même temps une atmosphère presque magique tout en respectant le monde arboricole dans lequel s'enfoncent les cavaliers. Ce désir de conjuguer le réel et l'irréel mystérieux ne va pas disparaître avant longtemps. L'univers romantique conserve le plus possible cette double identité. Déjà, Nicolas Poussin semble soucieux d'aller au plus près de la vérité du paysage qu'il a eu l'intention de figurer et qui constitue l'essentiel du tableau, (c'est ce que nous pouvons constater ici avec Le Printemps). Caspar David Friedrich est parmi ceux qui ont poussé le plus loin cette tension entre ces deux pôles.
Dommage que Turner ne figure pas dans cette anthologie cat, lui aussi, dans un esprit totalement opposé, accentue souvent la qualité de la végétation en fonction de l'ensoleillement ou des caprices du climat. La forêt devient un objet spécifique de représentation avec l'école de Barbizon, Camille Corot, Henri Rousseau, Théodore Rousseau, pour ne citer qu'eux) - mais il ne faut pas oublier qu'ils ont eu de précurseurs de valeur, tel Henri de Valenciennes. L'impressionnisme, avec le pleinairisme, ne fait que renforcer cette tendance, tout en introduisant d'autres facteurs qui subliment l'élément naturel choisi. Dès que les artistes ont désiré rendre hommage à la nature, ils ont eu tendance à exprimer ce qui la rend si belle. Et, très vite, ce respect se change en une sorte de métamorphose qui se traduit par un jeu chromatique ne respectant plus la seule perception et aussi par une manipulation des formes dans l'espace. L'exemple le plus radical est sans doute l'oeuvre de Vincent Van Gogh, mais aussi dans celle de Paul Gauguin et des membres de l'école de Pont-Aven. Puis on retrouve la dimension fantastique avec Gustav Klimt. Pierre Bonnard peut aussi être rapproché de cette démarche sur un ton mineur. Ce que nous apprend ce volume, c'est que l'artiste a la plupart du temps cherché à magnifier ce que les paysages élus lui dévoilaient. Bien, la connaissance scientifique a joué son rôle dans cette évolution jusqu'au moment où le rendu exact n'était plus de mise avec le cours de la peinture à la fin du XIXe siècle. Au fond, presque sans paroles, ce bel ouvrage raconte ce qui s'est joué dans l'histoire de l'art de la Renaissance jusqu`à l'art moderne.
Caravage, coffret, livret avec présentation de Valérie Mettais, Editions Hazan, s. p., 35 euro.
Michelangelo Merisi est né à Milan en septembre 1571. Plus tard, sa naissance, son père est allé s'installer dans une petite bourgade lombarde nommée Caravaggio, d'où son surnom (on a découvert il y a quelques années son acte de naissance). Il semblerait que ce soit la peste de 1716 qui a frappé Milan qui a poussé la famille à se transférer dans cette localité. On ignore la profession de son père, d'aucuns avancent qu'il était architecte décorateur ou entrepreneur, mais rien ne peut confirmer ces assertions. Tout ce qui paraît être probable, c'est que le jeune garçon a intégré l'atelier de Peter Peterzano, un des disciples du Titien, en 1584. Il y serait resté quatre ans et a observé avec beaucoup d'attention l'école lombarde, à commencer par Ambrogio Figino et les frères Campi). Il ne fait aucun doute que le réalisme de ces artistes alors en vogue l'a profondément marqué. Il est également probable qu'il ait découvert des artistes de l'école vénitienne et de l'école bolonaise (comme Lotto, Moretto et même le Titien).
Il est probable qu'il ait pu voir les oeuvres de Léonard de Vinci qui travaillait à cette époque pour les Sforza. En somme, comme il ne vivait pas dans un désert culturel, bien autre contraire, Michelangelo Merisi a très bien pu avoir une connaissance approfondie la peinture italienne du nord de la péninsule. Il n'est pas absurde de penser qu'il a d'abord travaillé dans l'esprit de cette école lombard qui avait pour caractéristique de rechercher un rendu plutôt réaliste. En 1588 ou 1589, le jeune homme se rend à Rome et il s'y installe en 1592. On a pensé qu'il a subi l'influence des cardinaux Borromée, qui ont été à Milan les grands maîtres à penser de la Contre-Réforme. Il est difficile de savoir dans quelle mesure, mais il n'a pu échapper à cette famille d'ecclésiastiques qui étaient en relation étroite avec saint Philippe Neri, le fondateur de l'ordre des oratoriens, et qui avaient adopté Les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola. Hélas, on ignore vraiment tout de ce que l'artiste a fait à Rome les trois premières années de son séjour dans la Ville éternelle. Le pape Clément VII monte sur le trône de saint Pierre en 1592 et entreprend une politique culturelle intense dans le nouvel esprit de l'Eglise. Ses premiers ouvrages, comme le Garçon mordu par un lézard appartiendraient à cette période. Mais à ce point, seule l'étude stylistique de son oeuvre peut indiquer un semblant de chronologie crédible. Il aurait fréquenté différents ateliers, dont celui de Grammatica.
Mais on se perd en conjonctures ! On a affirmé qu'il serait allé à Venise, mais rien n'offre l'ombre d'une preuve. En revanche, on sait qu'il a été parmi les premiers à entrer à l'Accademia di San Luca protégée par Federico Borromeo. On sait aussi qu'il a fréquenté des marchands d'art pour leur vendre ses compositions. Il s'est lié avec l'un deux, Costantino Spada. C'est aussi à ce moment qu'il fait la connaissance du camérier du pape, Gerolamo Vittrici, qui lui commande trois tableaux, dont La Fuite en Egypte. Sa Diseuse de bonne aventure enchante le cardinal Del Monte qui devient son protecteur. Il lui a demandé d'en faire une seconde version pour lui. Il est entré à son service et à vécu chez lui dans le palais Madama. C'est lui qui le recommande pour la décoration de l'église San Luigi dei francesi, où il a réalisé le célèbre cycle de saint Matthieu dans la chapelle Contarini. Sa manière de peindre évolue. Il accentue à l'extrême certains détails réalistes, alors qu'il exécute des figures idéales sur la même toile (c'est une contradiction recherchée qui le caractérise souvent et qui montre qu'il a pu très bien suivre les traces d'Annibal Carrache comme celle de Raphaël Sanzio. Assez bizarrement, cette tension recherchée est peu commentée par les spécialistes. Il peint plusieurs scènes où apparaissent des musiciens - tel le Joueur de luth - sans doute pour complaire à son mécène qui est un mélomane passionné. Il est devenu connu et réputé. Les commandes affluent, comme, pour ne citer qu'elle, les tableaux pour l'église Santa Maria del Popolo : Saint Paul sur le chemin de Damas et La Crucifixion de saint Pierre.
D'autres amateurs se font jour, comme le duc de Mantoue ou le marquis Giustiniani. Il est demandé de toutes parts. Mais il gagne alors une réputation de mauvais garçon et aurait fait quelques brefs séjours en prison. Mais, là encore, rien n'est avéré. La seule chose certaine est qu'il est poursuivi pour diffamation. Lors des célébrations qui ont lieu lors de l'élection du pape Paul V, source de troubles graves, il se trouve impliqué dans une rixe et il tue Ranuccio Tomassoni, qui appartient à une famille très liés aux puissants Farnese. Il doit, comme ses camarades, s'enfuir loin de Rome. Il se rend dans la principauté de Paliano. Pour cette très malheureuse affaire, il est condamné à mort par contumace. Il finit par pouvoir trouver asile à Naples, où il peut reprendre son activité artistique. Il y exécute certains de ses chefs-d'oeuvre, comme Les Sept oeuvres de la miséricorde pour la congrégation de Pio Monte della Misericordia. Sa Flagellation du Christ, exécutée pour un riche amateur, lui vaut l'admiration des amateurs (une copie lui est commandée par le clergé local). Il se rend à Malte en 1607 et entre dans l'ordre de Saint Jean de Jérusalem puis est admis dans l'ordre de Malte (un moyen sans doute pour être amnistié par le pape). Mais il est arrêté lors d'une salle affaire et doit une nouvelle fois s'enfuir. Il décide d'aller à Syracuse, où il crée de grandes oeuvres et puis va à Messine. Il retourne à Naples en 1809.
Il peint, entre autres choses, Le Reniement de Saint Pierre Salomé et L'Enterrement de sainte Lucie. Il meurt à Porto Ercole dans des circonstances mystérieuses. Le pape lui aurait pardonné et il aurait voulu retourner à Rome. On le constate, la biographie du Caravage est plus que lacunaire et en tout cas énigmatique. Mais reste ses créations, que cet album permet de découvrir à qui éprouve le désir de mieux le connaître. C'est superbe et donnera certainement envie à ceux qui parcourt ces pages d'en savoir plus sur ce peintre qu'on a eu tendance à entourer de légendes plus ou moins malveillantes.
Bonnard, Valérie Mettais, coffret + livret, Editions Hazan, s. p., 35 euro.
Pierre Bonnard (18677-1947) est sans aucun doute de tous les Nabis le plus connu et le plus apprécié. Ses amis qui ont participé à ce petit cénacle d'artistes, n'ont pas disparu de notre histoire de l'art, et reste pour la plupart assez côtés, comme Edouard Vuillard. Ker-Xavier Roussel, Paul Ranson, Maurice Denis, Paul Sérusier, ne sont pas méprisés, mais n'ont jamais eu une telle notoriété. Cette fraternité a été de brève durée, mais a laissé une marque profonde dans l'esprit de chacun de ces créateurs. Depuis sa première exposition personnelle à la galerie Durand-Ruel en 1896, Bonnard, tout en restant à l'écart des postures radicales de l'art moderne, n'a jamais été mis à l'écart au cours du XXe siècle. Certes, il ne suscitait aucun scandale et n'osait jamais franchir des frontières hasardeuses dans son art ; il n'a jamais été aussi célébré que Pablo Picasso ou Fernand Léger. A l'inverse de Henri Matisse, sa carrière a débuté assez tôt, et lui a valu les louanges de la critique et aussi de la part de ses contemporains.
Il faut insister sur le fait qu'après ce moment où il a fait partie d'un groupe (assez peu compact dans ses orientations esthétiques) il a poursuivi une aventure solitaire. L'originalité de sa démarche ne l'a pas fait exclure du riche panorama artistique de l'entre-deux-guerres. Au fond, sa démarche n'a pas beaucoup changé depuis sa jeunesse. Il privilégie l'intimité, les espaces clos (chambre, salon, salle-à-manger...), et des figures humaines qui appartiennent à cette relation intime qu'il place au-dessus de tout. Le traitement joyeux de la couleur, qui reste encore lié à l'idéal des Nabis, fait disparaître toue sensation d'enfermement. Il ne va guère plus loin que le jardin et y compose des scènes familières. Il a conservé cet aspect de certains impressionnistes. La beauté de ses compositions conserve la fraîcheur et la simplicité des sujets choisis. Il y a chez lui une sorte de double sens, qui engendre une imperceptible tension : d'une part on a l'impression qu'il a surpris ses modèles et, d'autre part, il leur attribue un charme et une beauté, même une sorte de sublimité, sans pour autant leur donner des traits classiques, tout au contraire. Et il y a ses nus merveilleux, qui sont presque à l'opposé de ceux d'Edgar Degas : comme lui, il ne tient pas à des poses conventionnelles et aime la surprise de la vie quotidienne (par exemple, le bain dans une baignoire) et les corps ne sont magnifié que par ses harmonies chromatiques.
Tout n'est pas toujours rose dans l'univers de Bonnard, et parfois une pointe de mélancolie s'insinue. Mais il échappe au drame domestique et un excès de sentimentalisme. Et, de toute façon, c'est un genre singulier de beauté qui triomphe dans sa peinture. Ce volume est vraiment une source de jouissance de l'oeil et de l'esprit et ce qui semble si simple, si banal, si peu théâtral se révèle une nouvelle conception de l'intelligence du monde commun. Un fruit, un bouquet, une table lui servent à rendre cette beauté appréciable tous comme les visages des personnes qui posent pour lui sans fard. On ne peut que succomber à la poésie de son microcosme où rien n'échappe à l'expérience de chacun d'entre nous. Notre existence qui peut paraître si terne et sans gloire se traduit chez lui par un enchantement. Ses natures mortes peuvent receler des instants merveilleux d'une vie et une porte peut laisser discerner la silhouette d'une charmante jeune femme dénudée. Sa peinture est empreinte d'une grande sensualité, mais qui demeure sans cesse associée à une poésie intérieure. C'est un livre merveilleux pour découvrir ce petit monde moderne qui, désormais, s'est changé en un petit monde nostalgique mais toujours présent. Offrez-le à vos proches, ils vous en seront reconnaissants.
New York des peintres et des écrivains, Françoise Bayle, Editions Hazan, s. p., 35 euro.
New York est une des grandes cités mythiques de notre monde. A la même enseigne que Prague, Paris, Saint-Pétersbourg ou Buenos Aires. L'auteur de ce choix de textes et de peintures a choisi de commencer par l'immigration. Il est vrai que cette ville a d'abord été la grande porte d'entrée sur ces nouvelles terres de l'Amérique, qui ont été arrachées à leurs habitants, les Indiens, dont il est quasiment question. Et il est vrai que Ellis Island a été le lieu où les malheureux qui ont fui leurs pays d'origine, de la Sicile à la Saxe, en passant par la Scandinavie, a été la borne frontière où ils ont dû abandonner leur passé, leurs origines et tout ce que cela comporte. Cette frontière est réservée surtout à des voyageurs sans billets de retour. Quant à la statue de la Liberté, sculptée par Bartholdi et dotée d'une armature métallique due à Jean Eiffel, est la première vision qu'ils ont depuis leurs navires. Walt Whitman relate l'arrivée de ces familles en quête d'une nouvelle vie. Des peintures nous fournissent une illustration de ces arrivées où l'espoir se mêle à la tristesse de l'arrachement à la terre natale.
Puis nous découvrons la New York des premières décennies de son existence, avec des tableaux qui nous surprennent car la petite ville qui s'est érigée à la pointe de l'île de Manhattan ressemble à une cité hollandaise (mais ce n'est pas si surprenant que cela car après la découverte du fleuve Hudson par le navigateur John Hudson travaillant pour le compte des Pays-Bas en 1609, l'île de Manhattan est achetée aux populations indiennes qui y vivent et tombe dans l'escarcelle des Hollandais. C'est un pan d'histoire qui est souvent oubliée. Avec ce développement rapide de la cité, les écrivains, comme John Irving, Henri James, Edith Wharton, et plus tard Paul Morand se sont ingéniés à la décrire. Pour moi, la plus saisissante description du port de New York, déjà important au début du XIXe siècle, a été dépeint par Herman Melville au début de son superbe roman Moby Dyck (ce texte n'est malheureusement pas cité ici). Un chapitre est consacré à la métamorphose de cette ville, qui commence à s'élever vers le ciel. Le premier plan d'urbanisme remonte à 1835. Le prix du terrain et puis bientôt le manque d'espace ont entraîné la construction d'immeubles de plus en plus hauts jusqu'à la création des gratte-ciels, comme l'Empire State Building et le Crystal Palace. Louis-Ferdinand Céline l'évoque dans son Voyage au bout de la nuit, John Dos Passos en fait l'éloge dans plusieurs de ses romans, dont Manhattan Transfert (1925). Maxime Gorki, Georges Simenon, Simone de Beauvoir, Thomas Wolfe, Jack Kerouac, Albert Camus, Henry Miller, Jean-Paul Sartre, Claude Simon, pour ne citer qu'eux, ont contribué, parmi tant d'autres, à forger la légende de cette ville à nulle autre pareille.
Des toiles merveilleuses d'artistes qui nous sont pour la plupart inconnus en France (à l'exception d'Edward Hopper) ont composé des paysages urbains saisissants. Un chapitre entier est dédié aux autres quartiers de cette énorme métropole. C'est une magnifique introduction à la magie de New York, qui ne cesse de se transformer, mais qui n'en reste pas moins fascinante.
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