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[verso-hebdo]
29-06-2023
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Max Ernst, mondes magiques, mondes libérés, sous la direction de Martina Mazzotta & de Jürgen Pech, Hôtel de Caumont, Aix-en-Provence, Culturespaces, 192 p., 29, 95 euro.

De tous les peintres qui ont fait cause commune avec le surréalisme (1891-1976) Max Ernst est sans doute l'un des plus appréciés. Il est né à Bruhl, près de Cologne, ville où il a passé son enfance. Son père, enseignant pour les sourds-muets, aimait peindre par plaisir. 1près ses études secondaires, il entre à l'université rhénane Frédéric Guillaume de Bonn. En 1911, il fait la connaissance d'August Macke et se lie d'amitié avec lui. Deux ans plus tard, il rencontre chez lui Guillaume Apollinaire et Robert Delaunay. Il se montre très critique à propos de la politique du musée de Bonn, qu'il juge réactionnaire. En revanche, il participe avec deux oeuvres au Premier Salon d'Automne allemand organisé par Herwarth Walden, créateur de Der Sturm (la revue et la galerie), qui défend les artistes du Blue Reiter. Puis il rencontre Jean Arp à Cologne en 1914. Deux ans tard, il expose à la galerie Der Sturm à Berlin. En 1919, il rencontre Paul Klee à Munich. Il participe à l'exposition de la Sécession des ouvrages inspirés par le dadaïsme. A la fin de l'année, il commence à correspondre avec Tristan Tzara. Sa première exposition personnelle a lieu à la librairie Au Sans Pareil à Paris en 1921. André Breton se montre élogieux à son égard. Avec Tristan Tzara et Jean Arp, il publie Dada au grand air. Un an passe et il publie avec Paul Eluard Les Malheurs des immortels. A la fin de cette année, il peint Au rendez-vous des amis. Il participe aux premières expériences surréalistes. Il expose en 1925 à la galerie Van Leer à Paris et Jeanne Bucher présente l'intégralité des frottages de son Histoire naturelle.
A partir de cette date, il a travaillé dans l'optique du surréalisme. Mais ce que prouve cette riche anthologie, c'est qu'il a su sans cesse diversifier son travail. Il n'a pas exécuté que des Forêts (mais ce thème revient souvent de décennie en décennie. On est même surpris en consultant ce catalogue qu'il a cherché à imaginer de nouvelles optiques dans sa création. Cela nous offre l'occasion de connaître un artiste dont nous avons ignoré l'incroyable-capacité à opérer des mutations plastiques. L'idée a été de classer les choses par technique : décalcomanie, frottage, dessin, collage, sculpture, peinture, etc., tout en mettant l'accent sur ses principales thématiques. C'est un formidable instrument pour mieux apprécier la démarche de cet artiste qu'on a eu tendance à réduire à quelques périodes bien précises. C'est un catalogue qui propose un ouvrage très détaillé sur les recherches plastiques de Max Ernst qui nous apprend qu'elles sont bien plus étendues qu'on pouvait le croire et ce fait lui donne une hauteur esthétique largement supérieure, et de loin, à ce qu'on aurait pu croire.




Bernard Réquichot, Zones sensibles, Jean-François Chevrier, Flammarion, 272 p., 65 euro.

Bernard Réquichot, né en 1929 à Asnières-sur-Vergne en 1929, il s'est suicidé en 1961. Cette existence abrégée et la singularité de sa démarche ont fait de lui une figure un peu mythique, mais mal connue, de l'art de l'après-guerre en France. Il a commencé avec la figuration et le surréalisme, mais sa rencontre avec Jacques Villon l'a mis sur le chemin du cubisme. Mais ce n'a été qu'une étape car sa pratique s'est orientée vers une forme d'abstraction très particulière. De plus, il faut souligner d'emblée qu'il a toujours eu une prédilection pour le papier. Il a réalisé, entre autres choses, de nombreux collages en utilisant des matériaux tirés de publications de toutes sortes. Ce gros volume a le mérite de nous présenter un grand nombre de reproductions grand format qui complète une étude sérieuse et approfondie. Même si ses oeuvres marquent une perpétuelle évolution, on se rend vite compte qu'il a travaillé dans un espace esthétique relativement restreint.
Il y a une sorte de paradoxe entre l'étendue de son expérience et la clôture de son champ d'expérience. Il est quasiment impossible de classer l'oeuvre de Réquichot dans un des grands courants qui s'imposent dès la fin des années quarante (tachisme, peinture gestuelle, etc.). Il demeure dans la catégorie très large de l'informel. Dès qu'il a abandonné les principes du cubisme, où il montre déjà une volonté de se détacher des poncifs liés à ce mode d'expression, il a inventé une écriture complexe où il s'est attaché à des foisonnement de lignes, comme si la surface du tableau ou de la feuille de papier s'est proposé comme le support d'un débordement linéaire qui s'est souvent proposé comme un étoilement et un enchevêtrement de lignes fines. Mais ce n'est jamais une formule qui s'est développée avec méthode : il a fait preuve d'une liberté formelle très accentuée. De plus, il n'y a pas de grandes différences entre ses tableaux et ses dessins. Il y a eu là une sorte de curieux paradoxe : s'il a voulu laisser libre cours à sa liberté créative, sa recherche est reconnaissable au premier coup d'oeil.
Il y a là un « style », mais sans avoir une méthode stricte. Et puis, on remarquera qu'il a désiré faire son entrée dans d'autres domaines spéculaires. Et l'auteur note avec justesse qu'il a eu une fascination poussée pour le noir, qui n'est pas devenu un système. Si l'on peut observer aussi qu'il y a bien eu des périodes spécifiques dans son travail, cela ne l'a jamais conduit à formuler des espaces déterminés par des règles précises. Il a même eu un ardent souhait d'échapper à la répétition, piège dans lequel sont tombés beaucoup d'artiste de ces années-là. Réquichot n'a pas encore trouver sa place véritable dans ce contexte : il est demeuré un artiste isolé dans son cheminement. On note chez lui ce souci constant d'agrandir le périmètre de ses spéculations. Ce volume est une excellente occasion de découvrir la grande richesse de son art et l'incroyable vitalité de ses postulats qui n'ont été que de brèves étapes vers un au-delà qu'il avait en tête. C'est vrai : l'histoire de l'art, même dans un cadre contemporain, ne cesse de se métamorphoser : nous découvrons des oeuvres et on en oublie d'autres. Mais, dans son cas, il est plus qu'évident qu'il mériterait d'être mieux estimé et étudié. Ce livre devrait contribuer à cette réhabilitation. De cet homme qui a mis prématurément fin à son existence. Et il ne faut pas omettre qu'il a aussi composé des textes en assez grand nombre et qu'il a publiés.




Etre Deux, ou les bandes magiques, Muriel Denis, préface de Pierre Wat, L'Atelier contemporain, 144 p., 15 euro.

On regrettera beaucoup que le préfacier n'ai pas mieux explique la personnalité et l'oeuvre de Fred Deux et de Cécile Reims. Ce ne sont pas des inconnus, mais ce ne sont pas des figures connues d'une large audience. Cet ouvrage part de la découverte par Muriel Denis des longs enregistrements que Fred Deux(1924-2015), qu'on connaît surtout pour ses dessins, Ceux-ci, à l'origine, sont destiné à sa compagne, Cécile Reims. Elle commente ce qu'elle découvre en écoutant ces enregistrements, en glissant de temps à autre une citation de l'artiste. J'ouvre ici une parenthèse pour rappeler que Fred Deux a été résistant (FTP) puis s'est engagé dans l'armée française. A son retour, il s'est marié à Marseille et puis s'est installé à Paris.
Il a travaillé dans la librairie de sa première épouse. Evidemment, l'exercice est assez étrange, mais on se laisse prendre au jeu. Même si nous ne connaissons pas le contenu de ces enregistrements, les commentaires de l'auteur sont très enrichissants et semblent très judicieux. C'est écrit d'une façon plaisante et nous nous remplit de curiosité pour cet homme si singulier et pour Cécile Reims, qui a une oeuvre intéressante et qui a gravé les dessins de Hans Bellmer à partir de 1966 (date du décès de Bellmer). Ce livre est captivant et nous conduit à mieux comprendre qui ont été ces deux figures de l'art d'après la guerre.




Claude Cahun, préface de François Leperlier, Photo Poche, 13, 90 euro.

Elle s'appelait Lucy Schwob. Marcel Schowb était son oncle. Elle est née à Nantes en 1894. De famille juive, son père est le directeur d'un important journal local républicain, Le Phare de la Loire. Au lycée, à l'époque de l'affaire Dreyfus, elle est malmenée par ses camarades de classe, qui vont jusqu'à l'attacher à un arbre pour faire mine de la lapider. Elle est alors envoyée dans une institution anglaise, puis revient au lycée. En 1909, elle est tombée amoureuse de Suzanne Malherbe, avec laquelle elle a eu une relation secrète jusqu'en 1917 (ce qui n'a pas mis fin à leur idylle) Elle écrit et envoie ses textes au Mercure de France, qui en publie certains sous divers pseudonymes, puis sous celui de Mathilde Cahun puis de Claude Cahun. En 1918, elle s'est installée à Paris pour suivre des études de lettres.
En 1925, elle publie au Mercure de France Les Héroïnes. Trois ans plus tard, elle a rejoint la troupe théâtrale de Pierre Albert-Birot. Elle s'est rapprochée de la revue Bifur et s'est liée d'amitié avec Georges Ribemont-Dessaigne. Elle a publié en 1930 Aveux non advenus aux éditions du Carrefour, illustré de photomontages. Elle s'est rapprochée du groupe surréaliste et elle a fréquenté René Crevel. Mais elle a rompu avec de dernier en 19343, publiant un tract chez José Corti Elle a participé au groupe Contre Attaque avec Georges Bataille. En 1936, elle a participé à la première exposition surréaliste avec des objets. Puis elle illustre un recueil de poèmes de Lise Deharme (chez José Corti).La photographie est désormais devenue son mode d'expression principal. Elle a réalisé de nombreux autoportraits (aussi quelques portraits) et a souvent introduit une dose d'humour ou de dérision dans ses oeuvres. Elle s'est révélée d'une inventivité vertigineuse.
Elle a aussi imaginé des objets. Les deux amies ont décidé de s'installer à Jersey. Pendant l'occupation, elles pont participé à la résistance et ont même été arrêtées. Claude Cahun est tombée malade en 1953 et est morte cette année-là. Ses créations photographiques figurent parmi les plus intéressantes de la première moitié du XXe siècle et elle a été vite considérée comme l'une des plus grande photographe française de la première moitié du siècle dernier. Cette anthologie montre la valeur de sa quête si intrigante et anticonformiste.




Le Motier, Julien Blaine, Les Presses du Réel, 17 euro.

J est un mot 7 est une icône, Julien Blaine, Redfoxpress.

Proz & Po¨m, Julien Blaine, « Manifeste », Les Lettres françaises, 198 p., 15 euro.

Le Petit bestiaire - Bestiaire naïf, (version abrégée), Julien Blaine, « la Motesta », Fidel Anthelme X, 10 euro.


Je ne cesserai jamais assez de le répéter : Julien Blaine est le hérault de la crise actuelle de la poésie. Il n'a de laisse de tourner en dérision la recherche poétique et même l'art de la prose. Il dépasse les frontières de l'acceptable par une dérision complète de leur passé, mais, ce faisant, il se révèle un artiste à part entière. C'est le paradoxe dont il joue avec un humour grinçant. Prenons Le Motier, qui rappelle beaucoup un ouvrage précédent, Bimot.
Ce petit recueil en reprend la mise en page et introduit des mots dans la partie supérieure et des caractères ou des photographies dans la partie inférieure, séparée du reste de la page par une ligne droite. Cette confrontation ne contient pas un message secret, mais une confrontation qui nous plonge dans une interrogation gênante.
Il contient aussi des fautes typographiques volontaires. Il y a aussi un passage poétique intitulé « Vertigo Bestiae», qui est une sorte de glossaire typographique. C'est sa méthode iconoclaste. On peut prendre le tout comme un périple dans l'au-delà de la poésie visuelle. Ce qu'on y voit est un démembrement de nos codes littéraires. Et puis il y a des fables, qui n'ont rien de fabuleux ! Il les considère comme des empreintes générant des images. On le croit sur parole ! Quant à J est un mot 7 est une icône, il s'agit d'abord d'une collection de caractères majuscules de petits textes ou qui s'accompagnent d'une légende.
C'est hiéroglyphique en diable et très divertissant. Mais c'est aussi un abus de pouvoir et une dérision nos habitudes de lecteurs. Et pas seulement. C'est le massacre des symboles que produisent les lettres isolées ou assemblée, qui les jouxtent, isolées ou associées. Il faut y une sorte de bréviaire de son esthétique sulfureuse.
Vient ensuite, Proz & Po¨m est une somme qui révèle l'incroyable étendue des jeux inventés par l'auteur. L'auteur en parle comme d'un florilège = le terme est bien choisi car c'est une succession de textes très courts qui représentent toute la gamme de ses divertissements qui mettent à mal les conventions de la grammaire et de la composition. On peut le regarder comme une sorte de journal qui condense toutes ses postures par rapport à la création poétique ou narrative. C'est drôle et tragique à la fois. Son attachement à l'héritage dadaïste est aussi un traquenard. Il en fait une sorte d'attraction foraine à l'intérieur de laquelle il dissimule des pensées et des réflexions sérieuses. En fin de compte, Julien Blaine est un destructeur qui continue à préserver dans son coeur l'amour profond du poétique et du romanesque. Il n'est si corrosif et diabolique que parce que le monde actuel produit ces séismes sémantiques et typographiques. Il a construit avec une facétie toute rabelaisienne un récit foisonnant qui est celui d'un voir naufrage. Il monte sur son bateau ivre. Et il lutte contre le courant de ses mauvaises intentions tout en protégeant en palimpseste la puissance de notre tradition.
Enfin, Le Petit bestiaire est une sorte de somme concise de tout ce que Blaine a pu imaginer ces dernières années. Il y a des Bimots, des poèmes où il salue les animaux de la ferme et bien des interrogations. C'est iconoclaste en diable et c'est aussi le compendium de son état d'esprit présent. C'est une expérience impressionnante et décapante et merveilleusement menée.




Guerre, Ludwig Renn, traduit de l'allemand et préfacé par Jean-Pierre Landais, Le Temps des Cerises, 340 p., 18 euro.

Connaissez l'écrivain allemand Ludwig Renn (1889-1977) ? Moi, non. J'apprends qu'il a été connu en France dans l'entre-deux-guerres. Mais depuis, il a sombré dans l'oubli. La réédition de La très pertinente préface de Jean-Pierre Landais nous apprend qui il a été (Renn était un pseudonyme : il s'appelait en fait Arnold Vieth von Golssenau ; Sazns doute sa fidélité au parti communiste a été une des causes de cettte plongée en enfer. Ce livre est un récit très simple de l'existence sur le front d'un sous-officier qu'il a nommé Renn comme lui. Mais il ne s'agit pas d'une pure autobiographie. Son Renn lui ressemble, mais ce n'est pas exactement ce qu'il a vécu. Il est certain qu'il a utilisé son expérience personnelle pour brosser ce tableaux des épisodes relatés depuis la bataille de la Marne jusqu'à l'effondrement de l'empire et de l'armée allemande qui s'est sentie trahie. Ce qui frappe dans ces pages, c'est leur simplicité et leur absence de tut ce qui pourrait avoir une dimension héroïque ou même tragique. Le personnage de Renn n'a rien d'exceptionnel. Il accomplit son devoir, mais n'a jamais la dimension d'une figure incarnant le courage ou la valeur militaire. Il se fond dans la masse de ses compagnons d'arme. Ce n'est pas non plus un révolté, alors qu'il avoue souffrir de sa condition. On le voit combattre aux abords de la Marne ou en Champagne.
Il connaît les avancées et les reculs de son régiment. Il nous dépeint l'atmosphère de la guerre de mouvement et celle de la guerre de position. Il nous enseigne tout ce qu'il y a à savoir sur l'existence de ces soldats dans le repos ou dans l'affrontement. Son récit est celui d'un quotidien qu'il nous décrit avec une extrême précision, sans jamais nous entraîner dans l'horreur des choses. Guerre se distingue de tous les livres écrits sur ces sombres et terribles années parce qu'il place tout sur le même plan, comme si cette aberration belliqueuse était devenue une normalité qui n'en finissait plus. C'est absolument passionnant car il a su rapporter le quotidien de tous ces hommes engagés dans une aventure mortelle. C'est un beau livre, même si ce terme ne saurait vraiment s'appliquer à son contenu. Bien sûr, ce qu'a vécu l'auteur et ce qu'il fait vivre dans son héros (son double) a été parfois monstrueux. Ce qu'il a souhaité faire voir au lecteur, ce n'est pas une vision morale de cette tuerie ou même humaniste, mais une vérité pure, sans l'enlaidir ou la rendre encore plus délétère. Il nous met à la place de ce Renn et de ceux qui se trouvent près de lui. Cela donne encore plus de force à ce que cette expérience a pu avoir d'épouvantable. Oui, c'est vraiment un grand livre.




Exit, Eric Rondepierre, Marest éditeur, 116 p., 19 euro.

A la fois artiste et écrivain, Eric Rondepierre est parvenu à rompre les codes de la fiction narrative sans pour autant entrer dans la zone grise de l'expérimentation à outrance. Cette oeuvre est divisée en quatre parties. Mais chacune d'entre elles n'est pas complètement séparées des autres. C'est un passage incessant de son autobiographie, qui est morcelées selon les situations qui se présentent, à son expérience de l'espace, surtout urbain, et donc de ses créations plastique. Le cinéma tient une place prépondérante dans son histoire et il fait référence aussi bien à François Truffaut qu'à Michelangelo Antonioni (Blow Up) Des scènes, qui deviennent une pure et simple photographie, entrent en jeu dans ce monologue intérieur qui se change aussi en une sorte de monologue extérieur. On peut prendre ces pages de différentes façons : comme un commentaire de sa recherche plastique ou comme une succession de réminiscences qui sont rattachées à des émotions provoquées par tel ou tel film. D'ailleurs, on a l'impression que cette aventure littéraire ne peut se dire que par l'ambiguïté foncière de sa méditation qui se traduit en tableaux (qui sont des fragments de films. Sa réflexion sur les jardins publics l'amène à parler de son enfance ou d'un film où Gary Grant incarnait le personnage principal. Et puis il introduit à ce stade les écrits de Walter Benjamin sur Paris). C'est une digression qui n'a de laisse de capturer des souvenir et aussi des images qui sont demeurées gravées dans sa mémoire. Un concours de circonstances l'a entraîné à photographier des musées, du Louvre au Centre Pompidou. Sans doute cette exploration serait le mécanisme de son traitement de la réalité, qui se transmet toujours à travers un filtre.
Et nous, qui sommes sur ses traces, nous le suivons au gré de ce cheminement qui est à la fois didactique et fantasmagorique. Ce petit livre, avec des illustrations, peut paraître aussi déconcertant que le Nouveau Roman à sa naissance. Mais il a su tirer son épingle du jeu et nous offrir une nouvelle manière de penser la fiction dans un va-et-vient vertigineux de vérités et de mensonges (les artefacts) Chez lui, réel et imaginaire s'entrechoquent et s'enrichissent l'un l'autre. Ce qu'il a vécu, ce qu'il vit, fait corps avec ce qu'il se représente ou éprouve devant la création d'autrui. C'est là une quête qui ne peut que nous passionner de bout en bout.




Ils ont tué Oppenheimer, Virginia Ollagnier, Fomio, Gallimard, 446 p., 9, 20 euro.

Le titre de ce roman peut laisser craindre mène sorte de roman noir inspiré par la vie du grand et célèbre physicien américain. Mais il n'en est rien. Au contraire. Virginie Ollagnier a su retracer les faits et gestes de ce savant avant et après la période qu'il a passé à Los Alamos pour mettre au point la première bombe atomique. Nous le découvrons sous ses différents aspects, un amateur de poésie et de philosophie, un homme engagé qui a épousé les thèses communistes, un individu plein de contradictions, qui s'est engagé sans réserve pour la conduite de ces recherches en physique nucléaire et qui, après le bombardement d'Hiroshima est demeuré profondément affecté par son oeuvre destructrice, et qui a combattu dès lors comme l'armement atomique.
Elle a su très bien construire ces va-et-vient temporels et le portrait qu'elle a brossé d'Oppenheimer est très dense et très prenant. Elle nous narre aussi le contexte politique et idéologique d'avant et d'après la guerre mondiale. C'est vraiment saisissant de bout en bout et elle ne tombe jamais dans le piège de jugements à l'emporte-pièce. Elle est parvenue à écrire un ouvrage d'une grande tenue, qui se lit comme un roman mais qui est avant tout une tentative pour remémorer ce personnage hors norme et le contexte de son temps. Son écriture est fluide et serrée, mais la narration, malgré ces sauts d'une période à une autre demeure, est d'une grande cohérence. Oppenheimer est dans ces pages décrit avec sérieux et aussi avec intelligence. C'est véritablement une réussite.




La Génération qui a gaspillé ses poètes, Roman Jakobson, traduit du russe par Margueritte Derrida, Allia, 80 p., 7 euro.

Cet essai, Roman Jakobson (1896-1982) l'a publié pour la première fois à Berlin en 1931. C'est sans nul doute l'essai le plus important qui ait été formulé sur les poètes qui ont accompagné la révolution soviétique. Jakobson y fait le portrait et décrit le destin de ces hommes de talent qui ont cru pouvoir jouer un rôle important dans cette grande aventure qui a changé au début du XXe siècle, la face de la Terre au XXe siècle. Il a une connaissance approfondie de leurs oeuvres, mais a eu aussi des relations personnelles avec certains d'entre eux. Il nous évoque des figures de grand talent telles que Sergueï Essenine, Vélémir Khlebnikov, Alexandre Blok et bien sûr Vladimir Maïakovski, avec qui il a eu des rencontres.
D'une manière ou d'une autre, ils ont apporté leur contribution à cette métamorphose politique, idéologue et sociale. La plupart d'entre eux vont disparaître dans des circonstances tragiques ou se sont suicidé. Maïakovski est le dernier d'entre eux à se donner la mort en 1930. Avec eux sont disparus d'autres intellectuels, surtout des metteurs en scène et des dramaturges. Staline s'est débarrassé de tous ceux qui ont voulu porter le drapeau rouge du bolchevisme. Ce faisant, il a fait taire tous ceux qui ont participé à cette grande utopie révolutionnaire qu'il a vite changé en une dictature impitoyable. Il nous explique comment Maïakovski a pu exprimer dans ses oeuvres poétiques les idées les plus avancées et audacieuses et a souligné qu'il n'est jamais parvenu à terminer sa Cinquième internationale. Un échec personnel, mais aussi un échec de la pensée de sa génération. C'esst un pan d'histoire de la Russie et de sa poésie moderne à ne pas manquer.




Une odeur de sainteté, Franck Maubert, Mercure de France, 120 p., 14, 80 euro.

Ce n'est pas ici un roman dans le sens plein du terme, mais un long récit raffiné. L'héroïne de cette histoire se nomme Jeanne Doucet. C'est un « nez », comme cela se dit dans le monde des parfumeurs. Elle est amenée, par l'intermédiaire du professeur Alexandre Bonnecontre, à faire l'expertise d'Erémence, décédée en 304 (une contemporaine de sainte Agnès) qui doit être béatifiée sous peu. Son coeur est conservé dans une chasse. Elle a quelques difficultés à faire l'analyse de l'odeur du coeur de la future sainte. Mais elle est vite envoûtée par cette figure de la martyrologie catholique. Elle nez peut faire autrement que de poursuivre ses recherches, comme si elle était prisonnière d'une puissance surnaturelle. Elle a des visions de toutes sortes, remonte le cours du temps et connaît les souffrances que cette dévote a pu éprouver.
Cependant, Jeanne, aidé par le professeur et par le vicaire Victor Caposi, ne renonce pas à sa quête fantasmagorique, mais est également en mesure de se reconstruire au plus profond d'elle-même, tout au long de cette folle aventure intérieure. Elle est assaillie par les représentations imaginaires les plus troublantes et parfois les plus incroyables. Elle subit ce parcours chargé de symboles et d'apparitions, et ne perd pas entièrement la tête en dépit de sa fascination poussée à l'extrême. Cette fantaisie mystique ne cesse de réserver des surprises et des inquiétudes. Toutefois, Jeanne n'est jamais détruite par les émotions si fortes et si captivantes émanant de ce coeur dont les senteurs remontent à de nombreux siècles. Franck Maubert a su trouver les moyens pour que le lecteur se laisse prendre à ce jeu irréel. Il a su aussi écrire cette aventure dans l'au-delà du raisonnable avec une très belle écriture, et a prouvé son grand talent de conteur. Son dernier livre confirme ses qualités et ne peut que nous prendre à ses étranges pérégrinations dans un espace où le sacré se révèle un piège magnifique, mais assez dangereux.




Ut musica, ut poiesis, Michel Deguy, dialogue avec Bénédicte Gorillot, Editions du Canoë, 176 p., 18 euro.

Avant de vous parler de ce livre, je voulais vous dire que j'ai croisé souvent Michel Deguy (1930-2020) quand j'étais en terminal au lycée Buffon (il était professeur de philosophie, mais ce n'est pas lui que j'ai comme enseignant). Bien plus tard, nous avons été voisins et nous avons souvent conversés dans la rue Férou qu'il dévalait avec sa bicyclette (il a même failli me renverser un jour !).
Ces pages sont une longue conversation avec une de ses admiratrices. Le thème choisi était la musique. Il ne jouait pas d'un instrument (il n'est pas parvenu à se familiariser avec le piano) et n'était pas un véritable mélomane. Au début, il parle de son éducation en la matière car son père aimait par-dessus tout Beethoven et Chopin. Mais pour sa poésie, la musique devait nécessairement jouer un rôle L'oeuvre de Deguy pourrait être rangée dans la catégorie de l'hermétism, même si elle était plutôt inclassable. Je savais qu'il avait eu une admiration sans borne sur Heidegger et qu'il avait écrit sur lui. Et qu'il avait écrit une étude sur lui.
Ces pages sont intéressantes pour qui aime ses vers, et elles découvrent de quelle manière il a abordé une relation étrange avec l'art de la musique. Il avait déjà associée à la poésie et à la danse. Par la suite, il a ajouté le cinéma et la chorégraphie. Ainsi a-t-il élargi la ronde des arts en s'inspirant d'Horace disait-il. Toute la bizarrerie de cet auteur apparaît dans ces échanges où celle qui conduit l'entretient paraît plus férue que lui dans la sphère musicale. Mais il n'en reste pas moins vrai qu'il dévoile cette liaison étrange avec la musique qui a sous-tendu sa recherche poétique. Sans nul doute, c'est indispensable pour ceux qui ont aimé ses recueils parus chez Galilée, au Seuil et chez Gallimard....




L'Après littérature, Alain Finkielkraut, Folio, Gallimard, 240 p., 8, 70 euro.

Dans sa préface, Alain Finkielkraut s'étonne de se retrouver sous la coupole. Moi, je ne m'étonne : ce ne fut presque jamais la maison des grands écrivains. Même Valéry Giscard D'Estaing y a été admis pour ses deux misérables romans ! Ces derniers temps, il n'y a guère eu qu'Alain Robe Grillet pour relever le niveau. Personne, et surtout pas moi, ne mettra en doute les qualité de cet auteur, qui n'est pas un romancier pour un sou, mais un parfois très brillant essayiste. Ce recueil d'articles sont des plus intéressants, car ils montrent à quel point les arts, la littérature au premier chef, se dégradent singulièrement. Il fait un constat assez terrible à propos de notre époque, même au-delà des arts et de la philosophie.
Même si l'on est loin de la pertinence du Juif imaginaire (le premier de ses livres publiés), on lit avec beaucoup d'intérêts ces considérations brèves et souvent judicieuse. Cependant, il n'a pas le mordant qui conviendrait à ce genre d'exercice et il fait l'effet d'un vieux sage désabusé. Comme cet ouvrage a paru en 2021, il n'a pas l'excuse d'un grand écart temporel. Ses propose sont vraiment d'actualité. On trouve souvent des observations véritablement juste (comme, par exemple, ce qui concerne le racisme). Il est sans doute le meilleur commentateur de ce présent qui est si déplaisant où que l'on se tourne. Il éveille les esprits, les émeut,les font vibrer, leur fait voir les choses avec clarté dans leur nudité absolu et dans un récit qui n'est ni pontifiant, ni égocentrique. Au fond, même s'il ne veut pas aller parfois au fond des choses et en tirer la cruelle morale, il se révèle capable de nous dire nos quatre vérités bien en face ! Il est dans l'optique des Lumières et grâce lui soit rendu. Mais dommage qu'il ne poursuive pas ses méditations qui ont donné des livres mémorables.
Gérard-Georges Lemaire
29-06-2023
 
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Verso n°136

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