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[verso-hebdo]
12-10-2023
La chronique
de Pierre Corcos
Un collage anarchisant
Nous avions dit tout le bien que nous pensions de Bad Luck Banging or Loony Porn, le long-métrage du cinéaste roumain Radu Jude, Ours d'or de la Berlinale 2021 (cf. Verso Hebdo du 10-2-22) et, à quelques réserves près, il nous faut réitérer cette appréciation positive à propos de N'attendez pas trop de la fin du monde, qui a obtenu le prix spécial du Jury au Festival international du film de Locarno 2023, tout en sachant pertinemment que ce film de 2h43 minutes va faire fuir ou excéder maints spectateurs animés pourtant des meilleures intentions... Si c'est la virulence et la grossièreté d'Irina (Ilinca Manolache) l'héroïne qui les font battre en retraite, ce n'est pas la substance du cinéma judien qu'ils récusent (précisons qu'Irina se défoule par des vidéos provocatrices et obscènes sur Tik Tok, en se masquant sous un affreux double machiste aux gros sourcils, Bóbita). Mais si c'est la forme, la structure de ce long-métage, où prédomine le collage entre différents films et types de films, voire textures d'images (16 mm en noir et blanc, Iphone, camera 2K, etc.), alors c'est bien plus grave, car ils n'ont sans doute rien à voir avec ce cinéaste. Et c'est dommage... En effet, par son réalisme éclaté, son montage, ses agencements d'images façon scrapbooking, Radu Jude se montre un témoin critique remarquable de notre temps. Adorno, rappelons-le, considérait que la marque d'authenticité de l'art moderne réside dans la déconstruction ou dislocation qu'il opère au niveau de la forme, luttant ainsi contre le « toujours semblable » (das Immergleiche).

On pourrait en rester, même si c'est très insuffisant, au niveau du scénario et de la charge critique de son thème : la surexploitation des travailleurs en phase néolibérale avancée... Angela, assistante de production, soumise à un rythme infernal, doit rencontrer à Bucarest et dans sa banlieue, différents invalides, victimes de graves accidents du travail, et filmer leurs témoignages (révélant de rudes conditions laborieuses) en vue d'un spot de prévention, qu'une multinationale autrichienne a commandité à sa boîte de production roumaine. La frêle mais tonique Angela est filmée en noir et blanc dans sa voiture, pestant contre les chauffards, les embouteillages, faisant cloquer un éternel chewing-gum, la musique braillarde de son autoradio rivalisant avec l'insupportable boucan de la ville, de ses klaxons, sirènes et travaux. Luttant contre le sommeil, flirtant avec le burn out, elle tient à peine grâce au café, et la rage de sa frustration passe dans l'exutoire de ses vidéos punkiennes. Sans cesse on lui rajoute des courses. C'est miracle si elle trouve encore le temps de conduire sa maman au cimetière ou d'étreindre frénétiquement son chéri dans la voiture!... Le récit à thème (la surexploitation) est immédiatement disloqué par les incises vivement colorées des vidéoclips où déblatère l'affreux Bóbita, alias d'Angela. Également par les extraits aux couleurs passées d'un film de 1981, Angela merge mai departe de Lucian Bratu, montrant une chauffeure de taxi, une autre Angela, sillonnant Bucarest au temps de Ceausescu - que les choses soient claires : Radu l'anarchiste rejette toute oppression, autant communiste que capitaliste -, extraits que retravaille (arrêt sur image, ralentissement, recadrage) Radu Jude pour rendre visibles leurs éléments subversifs. Le film est de surcroît haché par toutes ces blagues, ces haïkus, ces histoires, ces anecdotes qui défont la linéarité du scénario didactique au profit de téléscopages brisant le « toujours semblable » dans lequel le cinéma commercial berce les spectateurs. Comme le confirme Radu Jude, « il me semble que la structure, l'architecture du récit est aussi importante que le récit lui-même ». Mais un problème de toutes ces incises est bien entendu leur durée. Sont-elles trop longues et quelque chose de l'effet critique de cette dislocation moderniste est manqué. Or c'est malheureusement ce qui se produit avec l'interminable séquence sur les croix, en mémoire des trop nombreux accidentés de la route, à cause de la négligence des pouvoirs publics. Ou bien avec les fastidieuses séquences finales sur le tournage du fameux clip de prévention... Radu Jude avoue avoir été influencé par les films d'Andy Warhol, or certains d'entre eux sont distendus jusqu'à en être pénibles. Voilà un défaut dans le découpage temporel du film, dont le précédent Bad Luck Banging or Loony Porn, aussi composite et complexe mais différemment, restait indemne.

Ces réserves mises à part, le corrosif N'attendez pas trop de la fin du monde prolonge les leçons critiques de Jean-Luc Godard sur l'image, la bande-son et le montage, en y ajoutant toute une interrogation, empreinte d'humour, sur les répertoires filmiques (documentaire, road-movie, vidéos de montage), sur les types d'images animées (Jude est diplômé en réalisation à la Faculté des médias de l'Université de Bucarest) et sur les fonctions conatives du langage cinématographique... Sans doute les Roumains apprécieront-ils en particulier que ce film, comme les précédents, revisite sans concessions les périodes traumatiques de leur nation : de la dictature affreuse et grotesque de Ceaucescu au violent passage à un néolibéralisme énergumène. Mais, plus globalement, affleurent là toute une mémoire de l'esthétique et de la thématique anarchistes, de ses cris et révoltes, de son « mauvais goût » revendiqué, de ses scories, en même temps qu'un appel vivifiant à l'émancipation.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
12-10-2023
 
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Verso n°136

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