La bulle irisée de la comédie romantique éclate bien vite, dès la sortie du cinéma... Mais sa légèreté, ses formes arrondies, ses couleurs séduisantes donnent l'envie de se ressourcer par intermittences dans l'optimisme de ce genre cinématographique. Ses histoires d'amour, qui effacent par l'humour ce que le romantisme garde de tragique, tout en sublimant par le romantisme ce que la comédie recèle de trivial, plaisent à un large public. Alors que la critique a tendance à déprécier le genre, réduit au mot-valise américain de « romcom » (pour romantic comedy). Elle lui reproche des personnages stéréotypés, des situations peu crédibles, un « happy end » programmé, bref une codification stérilisante. Mais des réalisateurs inventifs, en truffant ces figures obligées d'éléments imprévus, se sont bien amusés...
Certainement plus influencée par le cinéma expérimental de Michael Snow et Jonas Mekas que par les réalisateurs de la comédie romantique, la cinéaste belge Chantal Akerman (1950-2015), dont l'on ressort actuellement les oeuvres polymorphes, s'était pourtant aventurée dans ce genre cinématographique avec le charmant film Un divan à New York (1996). Henry Harriston, psychanalyste un peu raide et réservé (William Hurt), échange pour quelques semaines son bel appartement et cabinet de New York contre un pied-à-terre parisien, précisément à Belleville, où vit Béatrice Saulnier (Juliette Binoche), danseuse un peu fofolle et ravissante. L'une veut fuir ses amants multiples et l'autre prendre congé de ses patients importuns. Mais, c'est bien connu, on échange ses ennuis contre des tracas : Henry va être confronté à une fuite d'eau, aux amants jaloux et à de bruyants travaux, tandis que Béatrice devra remplacer le psychanalyste au pied levé... Mais, petite pointe (personnelle ?) d'Akerman, répéter de façon interrogative le dernier mot prononcé par l'analysant suffit à l'efficacité de séances par ailleurs fort lucratives, et Béatrice s'en sort bien mieux qu'Henry. Lequel, excédé par le désordre parisien à gérer, revient plus tôt que prévu chez lui, et découvre l'arnaque en se faisant passer pour... un patient. Inversion des rôles bien classique dans les comédies. Seulement voilà, le psychanalyste compassé et la femme-enfant tombent follement amoureux l'un de l'autre ! Et, comme c'est le cas fréquent dans la comédie romantique, conte de fées des temps modernes, l'invraisemblable, l'impossible vont se réaliser : la culture, le caractère, la nationalité, le niveau de vie (mais sans doute pas la classe sociale d'origine) les éloignaient l'un de l'autre, mais Eros tout-puissant va leur faire trouver l'amour et le bonheur ensemble... Le bon gros toutou Edgar, un charme très complémentaire des deux comédiens, les couleurs brumeuses de New York et chatoyantes de Belleville, les vicissitudes cocasses du psychanalyste lunaire vont parfaire cette suave comédie romantique.
Nous retrouvons dans Carla et moi (Between the Temples - 2024) de Nathan Silver les fondamentaux de la comédie romantique, son « happy end » (en dépit des obstacles, ceux qui s'aiment sont à la fin réunis...), mais avec de notables variations dans les éléments de composition. Ici, le milieu, bien spécifique, est déterminant : la communauté ashkénaze new- yorkaise, qui fut souvent mise en scène autrefois par Woody Allen. À cette communauté, une situation névrotique se voit régulièrement associée : la mère juive, abusive et possessive, pousse lourdement son fils chéri à trouver une épouse, et de préférence dans la communauté. Situation pathogène de « double bind », puisque celle qui enferme veut en même temps faire sortir. Cette névrose va du coup générer les obstacles constitutifs de la comédie romantique, aussi leur traitement propre, dédramatisant et générateur de comique... Ben (Jason Schwartzman) est chantre dans une synagogue. Depuis la mort de son épouse, le veuf a perdu sa voix (sa voie ?), il est perdu, mais surprotégé par sa mère (Caroline Aaron) qui en même temps organise des rendez-vous pour qu'il se remarie. Les symptômes de multiplient, de l'aboulie à la paranoïa (bagarre dérisoire dans un bar) en passant par une tentative de suicide. Mais le spectateur sait bien qu'il assiste à une comédie romantique, et que rien ne sera grave ou fatal. Effectivement la bagarre s'achève par un nez qui saigne, et le chauffeur de camion, supposé écraser Ben, va tout simplement le raccompagner. Mais où est l'histoire d'amour ? Un soir Ben retrouve la touchante et excentrique Carla (Carole Kane), son ancienne professeure de musique, septuagénaire, qui le sollicite tendrement pour l'aider à préparer une «Bat Mitzvah » (communion), bien tardive, à la synagogue. Et alors, à la séduisante chirurgienne esthétique ou à la coquine et adorable fille du rabbin que sa mère lui présente, Ben va préférer, et il avouera son amour lors d'une soirée tumultueuse, la vieille Carla au regard d'enfant ! Cette résolution - perverse gérontophilique - de la névrose permet au héros d'échapper à la fois à toutes les femmes que sa mère lui propose et proposera, et en même temps d'élire un substitut maternel. Happy end inattendu, et intempestif dans le contexte religieux ashkénaze. Mais la part d'invraisemblance et de tendresse en adoucira l'aspérité. Le traitement audacieux par un filmage empressé de cette comédie romantique décalée, son habile théâtralisation vaudront à Nathan Silver une reconnaissance de la critique, peu amène on le sait envers les romcoms.
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