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[Visuel-News]
05-12-2024
La chronique de Pierre Corcos Une autre temporalité La chronique de Gérard-Georges Lemaire Chronique d'un bibliomane solitaire
La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane solitaire |
Qu'appelle-t-on philosopher ? L'Atelier d'Hannah Arendt, Pierre Bouretz, « Tel », Gallimard, 382 p., 13 euro.
Dans sa préface, Pierre Bouretz tient à souligner qu'il a écrit cet ouvrage avant que ne paraisse la traduction en France cahier de son journal, le Denktagebuch qu'elle avait commencé à rédiger à New York en 1950 (soit un an avant la publication aux Etats-Unis de The Origins of Totalitarism, la réédition de 1958 contient de nombreuses modifications). Ces pages de journal qui n'ont rien d'intime (elle n'a écrit qu'un seul texte autobiographique, Die Schatten, en 1925) sont truffées de citations en allemand, en anglais, en français et même en hébreu. Elle y a consacré vingt-trois ans de son existence et huit cents pages. Mais il s'agit là exclusivement de sa vie philosophique.
L'auteur s'intéresse d'abord à la conception des Origines du totalitarisme. Il ignore cependant de quelle façon cet ouvrage a été conçu et il s'interroge sur sa méthode. Puis il relate en détail le voyage qu'elle a entrepris en Europe, d'abord en Allemagne (où elle voit Karl Jaspers et Martin Heidegger), puis en France où elle a pu rencontrer Raymond Aron a fui le cercle de Jean-Paul Sartre. Elle n'a écrit qu'un seul livre important sept ans plus tard, The Human Condition. Sur ces entrefaites, elle s'est engagée sur un travail consacré à la pensée de Karl Marx, cherchant à convaincre Jaspers de sa validité. Elle a souvent évoqué les théories de Montesquieu, qu'elle a placé au plus haut de son panthéon philosophique.
En ce qui concerne Karl Marx, son entreprise a été un échec et elle n'a pas terminé le livre. Ce n'est pas à proprement parler un échec, mais une difficulté à décider comment appréhender sa vision du monde. Ensuite, l'auteur ouvre une nouvelle partie sue le thème : « Qu'est-ce que penser ? ». Afin de répondre à cette question épineuse, il montre comment Arendt a conçu son essai intitulé Idéologie et terreur. On comprend qu'elle tend à revenir à certaines sources, d'abord Platon et puis Montesquieu, d'Alembert et enfin Heidegger. Son journal est en partie la clef de ce problème qui passe par une multitude de réflexions sur des phrases édictées par tel ou tel philosophe. Le journal constitue donc le fil d'Ariane de cette pensée qui se manifeste par croisements constants de citations choisies avec soin. Dans cette perspective, elle a inclus la désolation et puis la solitude.
Notre auteur ne se contente pas de mettre en évidence la complexité de la méditation d'Arendt, mais tente de dévoiler son évolution qui se je joue dans la lenteur de la pensée. Cette étude aride est toutefois un excellent moyen de comprendre la singularité de la démarche d'Hannah Arendt, qui échappe aux principaux courants de la pensée moderne.
Le Petit Bestiaire Bréviaire naïf (version abrégée), Julien Blaine, « La Motesta », Fidel Anthelme X, 42 p., 10 euro.
Sans titre, confidences du moment, Julien Blaine, Editions val de l'arc, 64 p., 9 euro.
IMPRIMé à l'ANCIENNE, Julien Blaine, Atelier des 13 vents, Perpignan, tirage limité.
Silence : ça tourne, Julien Blaine & Mawar Bulbul, Théâtre du Maquis / Editions du val de l'Arc, 28 p., 10 euro.
Ce petit manuel intitulé Le Petit Bestiaire, reprend à son compte le dispositif de Bimot, un livre que Julien Blaine a fait paraître il y a déjà un certain temps : deux mots, sans une relation immédiate entre eux sont superposés et sont séparés par une ligne épaisse. Bien sûr, un rapport peut être stipulé quand les mots sont « homme »et « femme ». Il fait aussi état d'un bestiaire d'êtres hybride, comme la zébrule, union d'un zèbre et d'une jument. Puis il s'est employé à faire l'éloge d'animaux domestiques (la poule, le cochon, etc.) ou encore d'animaux familiers (comme le cabillaud, par exemple). Il leur dédie de longues strophes gonflées d'admiration et d'affection. Il rapproche ce manuel zoologique des êtres humains et font de chacun d'eux des doubles de ce que nous sommes selon notre tempérament propre ou nos prédispositions. C'est là une sorte de méditation à la Montaigne transfigurée (et même défigurée) pour nous rendre visible et intelligible ce qu'il éprouve face à la nature. Et il ne peut s'empêcher de penser tout haut : « nature humaine ».
D'emblée, Julien Blaine déclare que ce livre, Sans titre, n'appartient à aucun genre connu. Il le présente comme un « confidence », comme si c'était un genre particulier. Et aussitôt il s'interroge sur le besoin d'écrire. Quel en serait la motivation, le but, l'objet ? Et quelle tradition littéraire poursuivre ? La question est de savoir quoi dire et pour qui. Puis il s'interroge sur l'humain, et songe à cette période récente où ils vivaient dans des mondes hermétiquement clos. Il médite sur le présent tragique et songe à tous les grands tyrans et génocidaires de l'histoire. Il s'intéresse de près à Vladimir Poutine et à Benyamin Netanayahou, retrace leur généalogie. Et il se demande quel poids pourrait avoir une poésie (sa poésie) dans ce contexte plus que sombre. L'Ukraine et la Palestine sont les deux pôles de son désespoir et de son impuissance reconnue. Il s'indigne, il trépigne, il vocifère, il proteste. Mais à quoi bon ? Aujourd'hui, il n'y a pas quelqu'un de la mesure de Victor Hugo pour renverser la table. Il s'interroge, avec sa faconde naturelle et emportée, sur la nature de ses engagements. Et de conclure : « Je suis inutile et plus impuissant que jamais /S'y résoudre : / odieux sentiment. » Alors, je me dis que l'engagement peut faire perdre la vie. Byron, avant de mourir avait changé de camp et avait balayé d'un revers de manche les Grecs insurgés.
Dans ce volume précieux, imprimé à l'ancienne, qui est une édition de 21 exemplaires, vraiment imprimé à l'ancienne, Julien Blaine met en scène les éléments et leurs mythologies. Il se fait le chroniqueur de l'assemblée générale des vents d'où est absent Kon, fait l'analyse cocasse de la rose des vents (au début du volume, il a imaginé une tulipe des vents (sic)). Il se présente ensuite comme un musicien qui ne joue que des instruments à vent. Et le voilà en train de jouer avec toutes les formes possibles du courant d'air (c'est un monde où il se perd, où il erre avec un r sous le bras) A la fin, il abandonne les vents à leur destin « pour retrouver les précipices ». Son humour caustique laisse deviner un désespoir bien caché, car il ne pourrait même plus signer quelque chose comme Les Voyelles.
Prolongement éditorial d'une représentation réalisée au Théâtre de l'ouvre-boîte le 19 et le 20 janvier 2024, Julien Blaine et Nawar Bulbul ont uni leurs voix et leurs corps dans une « sottie contemporaine ». Le titre, Silence : ça tourne nous fait comprendre que nous auront surtout à assister au défilé d'images, dont des portraits pour l'essentiel, le tout suivi des déclarations véhémentes des deux protagonistes. Cela concerne les conflits du Proche-Orient, les anciens et les nouveaux. Ce sont des cris de révolte et une dénonciation de ce qui s'y est joué et de ce qui se joue encore aujourd'hui. Littérature et art engagés ? Sans aucun doute. On ne peut pas reprocher aux deux complices d'avoir leur langue dans leur poche. Mais sont-ils véritablement du côté de la raison ?
Napoléon vu par Abel Gance, 312 p., La Table Ronde / Cinémathèque française, 29 euro.
Napoléon d'Abel Gance a été projeté pour la première fois en mai 1927 devant une audience de seuls professionnels du cinéma. Destiné à être projeté sur trois écrans simultanément, sa version originale durait sept heures. Cet ouvrage montre un grand nombre de photogrammes qui donne une idée du déroulé de cette oeuvre hors du commun et s'est aussi donné pour tâche de raconter son histoire, assez compliquée étant donné l'ambition du projet, et également sa postérité, ponctuée par de nombreuses amputations et restaurations, dont la dernière, la plus fidèle possible, a nécessité quatre ans de travail.
Abel Gance a commencé le tournage de ce film titanesque en 1923 et le montage a été fait entre 1925 et 1927. En 1921, il avait fait un séjour de cinq mois aux Etats-Unis et y a rencontré le grand réalisateur David W. Griffith. Sa manière de travailler va beaucoup l'inspirer. De retour en France, il achève le montage de La Roue. Tout en écrivant son scénario (il s'inspire beaucoup d'Alexandre Dumas et de Victor Hugo), il part à la recherche de financements. Charles Pathé lui promet une participation. La Westi a pris la part la plus importante de cet investissement. La réalisation du film a été de quatorze mois et le tournage a commencé en 1925 au studio de Billancourt. Il doit aussi songer à la distribution et il a confié le rôle de Napoléon Bonaparte à Albert Dieudonné ; il s'est réservé le rôle de Saint Just (sa seconde femme, Marguerite, se voit attribuer le rôle de Charlotte Corday. Antonin Artaud doit incarner Marat. Ce volume raconte tout ce qu'il convient de savoir sur ce chef-d'oeuvre que l'on a découvert dans toute sa vérité que très récemment. Il n'est pas réservé aux seuls cinéphiles, mais à tous les passionnés de l'histoire de France et aussi à tous les amateurs d'art.
Le Café Julien, Dawn Powell, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Natalie Zimmermann, « La Petite Vermillon », La Table Ronde, 416 p., 8, 90 euro.
L'histoire débute dans une brasserie très fréquentée et bien fréquentée de New York situé non loin de Washington Park, où un écrivain, Orpen, vient régulièrement écrire sur du papier à entête de l'établissement. Nous sommes en 1948 (il fait savoir que ce roman a paru en 1954 sous le titre de The Wicked Pavilion). A cette époque, dominait des idéologies singulières : la gérontologie était de mise et même les personnes cultivées voulaient se passer de livres. Le véritable centre du roman est cette brasserie où s'entrecroisent tant de destinées. Il n'y a pas à proprement parler une trame principale, ni même deux ou trois récits qui s'entrecroisent, mais une foule d'affaires qui s'entrecroisent et s'enchevêtrent.
Les deux protagonistes qui se trouvent au premier plan sont Jerry et Elsie. L'auteur a pris soin de dépeindre leurs relations, qui passent de l'amitié profonde à la chamaillerie et à la rivalité. Et il en est de même de tous les personnages qui entrent et sortent du café Julien, ayant tous des rapports plus ou moins fugaces les uns avec les autres. Elle dépeint un milieu, aussi disparate soit-il, plus que le développement d'une intrigue.
Dawn Powell a su parfaitement rendre l'atmosphère de cette période qui a vu le triomphe culturel de New York. Tout y est un jeu de regard, de bribes de conversations, de rêveries, de faux-semblants et de sentiments cachés, de jalousies bien affirmées. C'est quelque chose qui pourrait s'apparenter à la vie de cour pendant l'Ancien Régime et transportée au XXe siècle, juste après la guerre. C'est une sorte de tourbillon où tous sont entraînés, avec des réminiscences et des moments de l'instant présent, comme si ce café était une sorte de lieu magique où tous ces êtres devaient se rencontrer et nouer des liens étroits ou non. Ou même ne pas pouvoir prendre langue. Dawn Powell (1896-1965) a été complètement oubliée depuis longtemps. Elle mérite véritablement cette résurrection car c'est une femme de lettres qui mérite d'être appréciée de nouveau.
L'Île joyeuse, Dawn Powell, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anouk Neuhorff, « La Petite Vermillon », La Table Ronde, 398 p., 8, 90 euro.
Nous voici plongés en pleines années folles - à leur crépuscule (c'est le moment de l'effondrement de la bourse). Cet ouvrage a paru en 1938. Tout se déroule à New York et les Américains ne songent pas à la guerre qui menace en Europe. Au coeur de cette affaire, il y a un jeune auteur dramatique nommé Jefferson Abbott, qui s'emploie à faire représenter sa pièce. Nous découvrons rapidement une foule de figures qui évoluent dans le monde du théâtre, de la presse, de la mode, de la littérature.
Ce petit monde extravagant et foisonnant et l'auteur nous fait découvrir aussi ce qui peut les unir les uns aux autres, sur un plan professionnel ou sentimental. De réceptions en cocktails, toute la société se dévoile, celle des affaires et celle de la musique, de la danse, des comédies musicales et des arts dramatiques. C'est comme si ces deux univers devaient ne plus qu'en faire un. C'est dans ce chassé-croisé incessant que l'écrivain retrouve une amie d'enfance, qu'il avait aimée, Prudence Bly, qui était désormais une chanteuse en vue.
Les intrigues et les liaisons, les relations qui s'ébauchent, les autres qui se défont, les bruits qui courent et les fausses réputations, tout cela compose une sarabande débridée et reconstitue l'état d'esprit d'une époque où l'illusion était soudée à l'ivresse du divertissement et d'amours trompeurs. Dawn Powell est passée maître dans l'art de tisser des dialogues, de mettre sur pied des scénettes d'une savante légèreté et néanmoins révélatrices de ce qui est l'enjeu d'une rencontre. Prudence s'est laissée longtemps grisée, mais elle finit par se rendre compte qu'elle n'aspire qu'à devenir ce qu'elle est réellement. C'est sa prise de conscience qui est le véritable fil d'Ariane de cette saga sagace où défilent un nombre impressionnant d'acteurs qui jouent plus ou moins bien leurs rôles.
Cette fiction de Dawn Powell est la source de plaisir pour le lecteur. Et sous cette apparente désinvolture, elle révèle des fables peu agréables avec toutes sortes de morales plus ou moins bonnes à entendre. C'est là un livre qui mérite d'être connu. Cette Happy Island est un petit bijou de la littérature nord-américaine.
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Gérard-Georges Lemaire 07-11-2024 |
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