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[verso-hebdo]
13-02-2020
La chronique
de Pierre Corcos
Sortir de l'enfance
Dans le « roman initiatique » ou de formation, le Bildungsroman, le héros, souvent jeune, découvre en une suite de révélations ces éléments - la passion, l'ambivalence, la mort, l'altérité, etc. - qui marquent et orientent une vie, contredisent ou complexifient les rêves de l'enfance et les dogmes de l'éducation. Ce cheminement s'achève lorsque le héros se sent en mesure de se forger une philosophie de la vie, et d'affronter en adulte l'arène du monde réel... Il existe également des « films de formation », et La beauté des choses du suédois Bo Widerberg (sorti en 1995), son ultime chef-d'oeuvre, Ours d'argent au festival de Berlin en 1996, nominé aux Oscars pour le meilleur film étranger, en est un, magnifique. Sa récente réédition lui vaudra-t-elle à nouveau, comme ce fut le cas à sa sortie, un franc succès public et l'ovation de la critique ? Mais d'abord il ne faudrait pas que l'on réduise cette histoire, si riche, à la seule passion érotique entre un adolescent ombrageux et sa charmante professeure.

La beauté des choses se passe en 1943, et certaines scènes se déroulent dans le collège où Widerberg fit ses études. C'est à ce moment de la puberté où les choses du sexe travaillent continuellement l'imagination des élèves que Viola, une malicieuse et jolie enseignante de 37 ans, mariée, prend contact avec sa nouvelle classe. Elle y remarque le blond Stig, 15 ans (c'est le propre fis de Widerberg qui joue le rôle), timide mais incapable de cacher la passion qu'elle a allumée en lui. Sensible à sa beauté, à son innocence, Viola débride son propre désir et ils deviennent amants. Stig découvre alors, à la fois déniaisé et émerveillé, la splendeur de ce corps féminin, la puissance réelle de la sexualité, loin des fantasmagories entretenues par ses camarades. Mais il fait aussi la connaissance involontaire du mari de Viola, Frank, un représentant de commerce alcoolique, drôle, désespéré, fantasque et grand amoureux de musique classique. Loin de pouvoir mépriser celui qu'il fait cocu et, qu'en un bon manichéisme, il devrait inscrire dans la case des figures négatives, Stig se prend d'amitié pour cet homme bon et paternel qui, par ailleurs, n'est pas dupe de ce qui se passe entre son épouse et Stig. Peut-être même Viola, dans l'égoïsme de son assouvissement érotique, est-elle moins intéressante que son mari : les choses ne sont pas si simples... Par ailleurs le beau Stig a provoqué le désir d'une de ses camarades, une gamine adorable, entière et naïve qui s'offre totalement à lui. Après s'être esquivé, Stig revient vers elle, comme s'il comprenait qu'en temps normal, c'est avec une fille du même âge qu'il aurait découvert la sexualité. Et Stig commence peu à peu à prendre quelque distance par rapport à Viola qui, ne supportant pas la menace d'être abandonnée, devient odieuse et se venge injustement sur l'adolescent. Voilà donc que cette souriante figure idéale s'est changée en harpie furibonde !... Là-dessus, Stig apprend la mort de son frère, devenu sous-marinier, un frère complice pour lequel il éprouvait une immense affection. Alors tout en lui se bouleverse à nouveau, et l'irruption de la mort d'un être cher vient relativiser l'importance et la complexité de ses histoires amoureuses. L'année scolaire s'achève. Et, désabusé, perplexe, affermi, responsable, Stig est désormais un jeune adulte qui va pouvoir considérer en face les réalités de l'existence.

Le titre original de ce beau film de formation (Lust och fägring stor) est le vers d'un psaume qu'au mois de juin, pour les fêtes de fin d'année dans les écoles suédoises, les enfants en choeur chantent... C'est une promesse d'amour et d'attachement, un idéal vibrant que les aléas, la complexité, l'ambivalence et les imprévus de la réalité se chargeront de malmener. Dans la majorité des films de Bo Widerberg, la dimension sociale et politique, très présente, assure le travail du négatif, en déchirant les images d'Épinal, la rose mythologie du cinéma hollywoodien, commercial. Ici, le contexte social se réduit à la guerre, à ses menaces... Par ailleurs Widerberg a été considéré comme « le cinéaste des femmes ». Dans La beauté des choses, le cinéaste ne dissimule rien de la puissance de l'Eros féminin et, comme il le déclare lors d'un entretien paru en 1996, « dans mes films, ce sont les femmes qui mènent la danse ». L'image de la Suédoise émancipée, très libre avec son corps, prend ici tout son relief. Le biographe du réalisateur, Mårten Blomkvist, note que ce film « peut être considéré comme une carte postale de la jeunesse de Bo Widerberg », et il est vrai que le cinéaste avait été bouleversé à 18 ans par le film, puis le roman Le Diable au corps (Autant-Lara/Radiguet), qui justement raconte une passion entre un lycéen et une femme mariée, plus âgé que lui. Il est vrai également que le cinéaste a largement puisé dans ses souvenirs personnels, allant même jusqu'à emprunter des affaires, des accessoires dans l'appartement de ses parents.

Mais il ne faut pas en rester à ces éléments autobiographiques, et bien plutôt insister sur la splendeur de ce film. Le Danois Morten Bruus, la caméra à l'épaule, nous a offert des images à la fois expressives et classiques, aux couleurs chaudes, avec quelques gros plans qui exaltent les focalisations du désir. La mise en scène de Widerberg, remarquablement maîtrisée, fait physiquement sentir au spectateur ce vivant mixte de chaleur/froideur, tendresse/dureté, enivrement/désillusion, qui restera pour le jeune Stig le parcours, la leçon et l'épreuve initiatique obligatoires pour vraiment sortir de l'enfance.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
13-02-2020
 
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Verso n°136

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