C'était il y a dix ans. On s'écrasait, jeudi 3 avril 2014, dans la galerie Claude Bernard, pour voir les nouvelles toiles de Ronan Barrot. Ce jeune peintre (il est né en 1973) se produisait pour la quatrième fois depuis 2007 dans le temple parisien de la grande peinture moderne : ici exposèrent Francis Bacon, Paul Rebeyrolle ou Leonardo Cremonini. Barrot prenait le relais avec panache. Sa suite intitulée Fouille, en particulier, frappait par sa virtuosité et son audace. Soit deux hommes stylisés vus de dos. L'un est plaqué contre un mur, l'autre (un policier?) est en train de le fouiller. Cela était traité alternativement dans une matière grasse ou maigre. Le thème était nouveau, la manière était sans défaut : bref, c'était de la peinture. Tout le monde était ravi, car ceux qui étaient venus là cherchaient de la beauté, à tout le moins de l'intériorité, c'est à dire ce qui caractérise le paradigme de l'art classique.
De ce fait, on entrait dans la théorie de Nathalie Heinich. Pour la célèbre sociologue, si c'est de la peinture, ce n'est donc pas de l'art contemporain. En s'engageant pour la forme d'art pratiquée par Ronan Barrot ses admirateurs seraient donc contre l'art contemporain. Lisons la page 338 du « Paradigme de l'art contemporain » qui venait de paraître : « les amateurs de peinture, devenue une valeur en soi, recherchent le plaisir du spectateur, l'authenticité du lien entre l'oeuvre et l'intériorité de l'artiste, la garantie que cette oeuvre s'origine dans une véritable inspiration étrangère aux séductions de la mode, et l'assurance qu'elle est porteuse d'un sens profond. » C'était il y a dix ans. Depuis, Claude Bernard est mort et ses successeurs ont changé de stratégie. Aujourd'hui Ronan Barrot expose ses derniers travaux, sous le titre Post Esquisses, à L'Avant Galerie Vossen, 58 rue Chapon à Paris (jusqu'au 25 février).
On voit des tableaux splendides qui nous plongent dans un univers formel proche de la peinture toscane du XVIe siècle, et sans doute aussi la peinture vénitienne de la même époque. Mais il y a autre chose. Depuis 2019, dans le proto-atelier formé par le peintre Ronan Barrot et Robbie Barrat, nous explique Hugo du Plessix, des esquisses sont produites et suivent des règles qui sont loin d'être aussi linéaires et hiérarchisées que celles des ateliers de la Renaissance. « Ici, le processus de création fonctionne à la manière du mouvement de l'information dans une pile logicielle : il débute dans l'atelier de Ronan, traverse les réseaux construits par Robbie, retombe sur une plaque de plexi, subit plusieurs retouches, retombe dans les collections d'images numériques de Robbie et ainsi de suite. Le travail est organisé autour d'une exploration continue de ce qu'on pourrait appeler des post-esquisses ». Bref : c'est toujours de la peinture, avec intervention de l'Intelligence Artificielle ! Ronan Barrot est devenu artiste contemporain. Il faut y aller voir.
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