Le Rijkmuseum Vincent Van Gogh d'Amsterdam présentait en 1990 une grande exposition Van Gogh à Amsterdam. Louis Van Tilborgh était alors l'un des trois auteurs du catalogue. Trente trois ans plus tard, pour le remarquable catalogue du musée d'Orsay, il s'attache plus particulièrement au suicide du peintre dans un essai intitulé « Courte biographie d'une souffrance intolérable, le suicide de Van Gogh ». L'auteur s'appuie sur les progrès de la psychanalyse pour donner un aperçu de la vie de Van Gogh à partir du moment où il a voulu quitter l'asile de Saint-Paul-de-Mausole à Saint-Remy-de-Provence. Le docteur Théophile Peyron le laisse partir en mai 1890 « probablement parce qu'il comprend le désir de son patient de se rapprocher de son frère mais aussi en raison de la force de persuasion de Vincent et de la rapidité de son rétablissement ». En fait, il n'est nullement guéri.
En mai 1890 Vincent cherche à se composer une apparence sereine. Dans l'autoportrait d'Orsay, il se donne une expression presque aussi paisible que dans les « portraits calmes » des maîtres hollandais du XVIIe siècle, Frans Hals et Carel Fabritius qu'il admire tant. Mais Louis Van Tilborgh note que le fond est agité, « presque tourbillonnant » et il s'appuie sur d'autres tableaux qui témoignent de la fragilité de Vincent. Sa Pietà en particulier, réalisée d'après une reproduction du tableau homonyme de Delacroix datant de 1850 parle de détresse, de chagrin et de la compassion d'une mère et qui lui aurait donné, à lui, « du réconfort ». Van Tilborgh cite aussi la copie par Van Gogh de L'homme est en mer par Virginie Demond-Breton (fille du peintre Jules Breton qu'il admirait) représentant une jeune mère et son enfant endormis attendant dans l'angoisse le mari parti en mer. En 1890 à Auvers, il peint Premiers pas (d'après Millet) (The Metropolitan New York). C'est l'image de tout ce qui attend son frère marié et qu'il n'aura jamais : une femme, un enfant, une famille alors que lui est un paria mis à l'écart de la société.
Peu après sa première rencontre avec le docteur Gachet, il abandonne l'idée que ce médecin puisse l'aider. Gachet, veuf, avec une figure raidie par le chagrin, combat visiblement le mal nerveux dont Vincent est lui-même atteint « aussi gravement que lui » Il fait tout de même son portrait (collection particulière) et explique dans une lettre à sa soeur Willemien « J'ai fait le portrait de M. Gachet avec une expression de mélancolie... C'est ça qu'il faudrait peindre parce qu'alors on peut se rendre compte combien il y a de l'expression dans nos têtes actuelles et comme de l'attente et comme un cri ». Louis Van Tilborgh indique que Van Gogh parle ici de « souffrance existentielle » et il le fait comprendre à sa soeur en basant sa description de l'expression recherchée sur l'exemple de Jésus, qui a, selon la Bible, « patiemment attendu et docilement enduré sa crucifixion, puis a conclu sa souffrance, le moment venu, par un cri sans paroles, mais puissamment éloquent ». Vincent est dans cet état d'esprit quand, le 27 juillet, il se tire une balle dans la poitrine. Ce n'est pas le résultat d'une crise, à Théo qui débarque le lendemain, il confie que c'est qu'il a perdu toutes ses illusions, qu'il se sent « terriblement seul ». Il meurt le matin suivant. Ce n'est pas une crise, mais le résultat d'une accumulation de souffrances intolérables.
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