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[verso-hebdo]
30-11-2023
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

L'Automne par les grands maîtres de l'estampe japonaise, coffret + livret par Anne Sefrioui, Editions Hazan, 35 euro.

Dans la culture japonaise, les saisons tiennent une place déterminante. Le printemps est célébré par le culte du cerisier en fleurs, et l'automne a pour symbole la feuille d'érable. La lune annonce le début de l'automne : c'est la fête du Tsukimi. Anne Sefroui a exposé tous les signes qui sont liés à l'arrivée de l'automne et a aussi cité un certain nombre de poèmes liés de près à cet événement. Bien sûr, c'est un peu court car elle ne dit rien sur les artistes qui ont gravé ces bois. On aurait aimé qu'elle explique leur rôle dans l'art de ce Japon qui s'évertue à maintenir son isolement et qui vit sous une autocratie sévère.
Leur liberté dans le choix des sujets et dans leur traitement est caractéristique de cette longue période qui va de la fin du XVIIe siècle au milieu du XIXe. On trouve dans ce volume de magnifiques créations d'artistes très célèbres, comme Hokusai et Hiroshige, et d'autres, moins célèbres, comme Gyôzan ou Nakayama Sûgakudô, pour ne citer qu'eux. La première chose qui est remarquable dans toutes ces planches polychromes est l'introduction du rouge, qui, bien sûr, fait allusion aux feuilles d'érable. Ils présentent toutes sortes de sujets, de l'étude botanique pure à des scènes de genres, qui se déroulent dans la campagne, mais aussi sur les flots, sur un pont, sur une terrasse...
La gamme de ces thèmes est infinie. On ne peut que s'émerveiller des compositions de Katsukawa Sunchô, avec toutes ces jolies femmes en kimono qui semble défiler ou qui s'adonnent à la cueillette des champignons. D'autres, comme Niwa Tökei, ont été capables de saisir un détail dans un paysage. La nature est souvent glorifiée, mais, parfois, elle est jusque évoquée par un menu détail. En somme, l'amateur est confronté à un grand nombre de postures esthétiques qui sont en général d'une grande beauté et aussi d'un subtilité graphique étonnante. C'est là un excellent moyen de s'initier à ce grand art de la xylographie, qui est à la fois une prouesse technique et le fruit d'un imaginaire très fertile. Ce volume peut nous aider à comprendre pourquoi les peintres, avec l'impressionnisme et ce qui a suivi, ont souhaité adopter certaines des options formelles et chromatiques de ces Japonais qui ont produit des oeuvres exceptionnelles, où les détails ne l'emportent jamais sur une composition très stylisée, quelques fois très épurée.
Ils ont pris conscience que peu de temps avant leurs recherches, des hommes de grand talent ont éprouvé le désir et la faculté d'inventer un art nouveau et d'une incroyable portée, qui démontrent la faculté de tirer profit de leurs prédécesseurs et de la tradition plastique de leur pays, mais aussi d'inventer sans cesse des solutions plastiques inattendues et pourtant efficaces.




Une journée dans la rue, Groupe de Recherche d'Art Visuel, Fannie Relier, Editions du Canoë, 24 p., 30 euro.

En 1966, six jeunes artistes, Horacio Garcia Rossi, Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Sten et Yvaral ont eu le désir de former un groupe (pas forcément permanent) pour réaliser le 19 avril 1968 une action collective à Paris baptisé « Une journée dans la rue ».
Aujourd'hui, nous parlerions de performance. Il s'agissait pour eux de suivre un parcours qui commençait au métro Chatelet. Cela avait débuté par la distribution de petits cadeaux aux passants ; plus tard, à 10 heures, au métro Champs-Elysées, ils ont mis en place une structure mobile ; puis, près de l'Opéra, ils avaient disposé des objet16 h, ils ont disposé des objets cinétiques devant la bouche de métro. à 14 h, ils investissent le jardin des Tuileries avec l'abandon d'un kaléidoscope géant ; à Saint-Germain-des-Prés, ils ont dispersé des objets divers que les passants pouvaient manipuler à leur guise, comme on le faisait à la fête foraine ; à 18 h, à Montparnasse, ils ont fait marcher des habitants du quartier sur des dalles mobiles ; à 20 h, ils étaient de nouveau à Montparnasse, entre la rue du Dragon et la rue de Rennes et distribuaient des ballons et des épingles à ceux qu'ils croisaient ; enfin, deux heures plus tard, ils étaient rue Champollion et donnaient des sifflets aux personnes qui faisaient la queue pour aller au cinéma. A 23 h, ils avaient organisé une longue promenade avec des flashes électroniques. Voilà un curieux détournement de la vie urbaine !
Cet événement a fait date. Ce petit groupe, nommé le GRAV, n'avait pas pour ambition de créer une esthétique jusque là inconnue, mais en tout cas de rompre de manière définitive avec les anciennes postures de l'art. Pour ses membres, il ne s'agirait que d'une mystification. Une journée dans la rue a déjà été réalisée le 19 avril 1966. Pierre Restany, toujours aux aguets, a parlé d'un « commando de choc du cinétisme ». L'«esthétique technocratique » [sic] a été présenté depuis 1955, la première exposition ayant eu lieu à la galerie Denise René.
Au début des années soixante, d'autres expositions ont eu lieu dans des musées à l'étranger, mais aussi à Paris et à Strasbourg. Cet intérêt a beaucoup décliné la décennie suivante, même si c'était une oeuvre cinétique de Soto qui accueillait le visiteur dans le hall du Centre Pompidou. Et puis Vasarely faisait toujours recette ! Et Soto était apprécié. C'est sans doute ce lien entre l'art et l'action urbaine qui n'a pas pris. Cette façon d'élargir une esthétique à tout le corps social n'est pas nouveau : le futurisme l'a fait et même le surréalisme. Mais ces précédents n'avaient pas la vogue alors, nous affirme l'auteur. Cette façon de placer la quête artistique dans une perspective qui n'a plus rien à voir avec la peinture ou la sculpture d'autrefois.
D'autres artistes avaient alors des vues assez similaires, comme Nicolas Schöffer, Tinguely ou Takis. De plus il existait des cercles assez proches comme le groupe sud-américain Madi. C'était le GRAV en tant que tel qui n'était plus observé comme un élément sérieux de l'avant-garde. En réalité, les héritiers des grandes avant-gardes et qui ont opté pour le cinétisme se font un peu plus nombreux et les expositions se multiplient. Fannie Perrier nous fait connaître en détail chacun d'entre eux et met en relief l'originalité de la démarche de chacun.
En réalité, cette tendance ne fait que poursuivre les expériences de Marcel Duchamp ou des constructives russes de Naum Gabo ou encore d'Antoine Pevsner. Cette exploration en profondeur va bien au-delà du pur et simple cinétisme. Les faits et gestes des membres du GRAV sont ici disséqué avec la plus grande rigueur et nous n'ignorons rien des fantaisies qu'ils ont mises sur leur table théorique et pratique. C'est donc un livre indispensable pour comprendre les transmutations profondes, ininterrompues, délirantes parfois et pas toujours comprises en leur temps de l'art à la fin du siècle.




Icône cachées, les images méconnues de la guerre d'Espagne, Antoni Campañà, Editions Hazan, 144 p., 24,5 euro.

Qui aurait pu croire que ce modeste général commandant les troupes espagnoles stationnées au Maroc, qui a lancé le 18 juillet 1936, son pronunciamento du haut d'un balcon à Tanger, aurait déclenché une guerre civile sanglante de trois ans et aurait pris le pouvoir en 1939 ? Dépourvu de charisme, au physique ingrat, en n'ayant rien qui pouvait faire de lui un caudillo victorieux a pris la tête d'un soulèvement, il allait néanmoins renverser la fragile République. Ce dictateur impitoyable est pourtant celui qui allait rétablir la démocratie en Espagne en instituant à sa mort en 1975 une monarchie constitutionnelle...
Le Catalan Antoni Campana i Bandranas (1906-1989) a fait de nombreuses photographies des événements qui ont ponctué la guerre civile. On a retrouvé bien après sa disparition une boîte rouge contenant un très grand nombre de clichés. Beaucoup d'entre eux ont été pris à Barcelone à l'occasion de manifestations, d'occupations d'usines, de défilés, de bombardements, etc. Chez lui, longtemps après sa disparition, on a retrouvé une grosse boîte rouge avec de nombreuses prises de vue. On y trouve des scènes où les jeunes gens partent défendre le front, et d'autres où l'on découvre la vie quotidienne pendant ces années tragiques. C'est absolument passionnant. Certaines de ces photographies paraissent être destinées à la propagande. D'autres sont le fruit d'un hasard.
Et puis ce mélange des genres permet de prendre la vraie mesure de ce qu'a été l'existence pendant cette guerre terrible. Il est évident que ce photographe talentueux n'a pas voulu mettre l'accent sur le caractère dramatique de ce conflit, mais n'a pas voulu non plus en cacher la réalité. Les réfugiés, les militants indépendantistes, les résistants postés derrières les barricades improvisées, rien n'a échappé à l'oeil de Campana et nous donne l'occasion de savoir ce qui peut se vivre derrière une ligne de front dans de telles circonstances.




Qui del dicibile, Ariel Soulé / Simon Toparovsky, Chiesa Santa Maria inconorata, Naples, a cura di Cynthia Penna.

J'ai pris au hasard un des catalogues d'Ariel Soulé. Celui-ci date de 2007 et est la mise en perspective de deux ouvres (son alter ego est sculpteur). Il m'intéressait aussi au plus grand chef parce qu'il contenait la reproduction de tableaux d'une certaine dimension. Tragédie, Comédie, Monstre, voici quelques titres qui indexent ces compositions. Elles ont de singulier de ne pas être tout à fait abstraites, ni tout à fait figuratives : c'est un savant mélange des deux où l'abstraction l'emporte car il n'est pas aisé de cerner ses figures ou de les décrypter. L'espace auquel il donne naissance est volontairement ambigu.
On a le sentiment, quand on observe chacune de ses oeuvres que l'espace est dilaté et un peu anamorphosé. Mais l'ensemble a une cohérence indubitable, ce qui est surprenant étant donné son mode d'élaboration. Rien n'attire plus le regard qu'autre chose : les formes, les couleurs, les fonds, rien ne l'emporte sur l'autre, mais il est évident que les formes sont plus prégnantes car ce sont elles que nous interrogeons en premier. Il y a de l'organique et du géométrique, simultanément. Sa gamme chromatique n'obéit que très relativement à des règles. Elles aussi échappent à un dessein rationnel ou tout du moins logique. Tout chez lui est un peu curieux, mais pas franchement extravagant. On ne parvient pas à le relier à quelque courant que ce soit. Sans doute est-ce pour cela que ces propositions plastiques étonnent. Mais peu à peu l'oeil s'y fait et finit pas percevoir la poésie intrinsèque de ces mises en scène.
Soulé n'appartient donc à aucune école et ne plus être rangé dans aucune catégorie connue. Mais ce n'est pas un iconoclaste. Il dérange sans doute, mais ne choque pas. Il ne renverse pas son chevalet mais le place dans une lumière et une perspective qui ne sont pas homologuées dans l'esprit de la modernité telle que nous l'entendons. Cézanne ? Picasso ? Matisse ? Kandinsky ? Mirò ? Stella ? - il n'a de rapport direct avec aucun de ces grands personnages de l'art du XXe siècle. C'est un art en marge du connaissable, mais c'est surtout un art qui exprime une inventivité qui ne peut que séduire par son imaginaire et sa manière de divaguer jusqu'à atteindre un point de non retour qui serait une beauté inconnue.
Gérard-Georges Lemaire
30-11-2023
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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