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[verso-hebdo]
21-04-2021
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Signac au temps d'harmonie, Anne Distel, « Découvertes », Gallimard / RMN Grand Palais, 128s. p., 16, 10 euro.

Anne Distel a eu raison de nous présenter, au début de son essai, le jeune Paul Signac (1863-1935) qui va peindre à Montmartre au tout début des années 1880. D'autres peintres montent sur la Butte pour y puiser leur inspiration et Van Gogh, lors de son séjour à Paris, y a fait de nombreux dessins. Il faut dire qu'à l'époque c'est encore un coin de campagne avec ses fameux moulins à vent. Elle explique ensuite qu'il est très admiratif de Claude Monet. Il est aussi frappé par l'oeuvre d'Armand Guillaumin. Il expose pour la première fois un certain nombre d'aquarelles en 1884. Il adhère alors à la révolte des artistes indépendants. Les années suivantes il voyage, en Hollande et à Londres. Il a une vision beaucoup plus radicale, qui s'est développée après sa rencontre avec Georges Seurat. Les deux amis rencontrent Pissarro en 1885. Un an plus tard, il expose avec les Indépendants lors de leur huitième accrochage et Félix Fénéon invente alors le terme « néo-impressionnisme ». Il est invité à participer au Salon des XX à Bruxelles en 1888. Il rend visite à Van Gogh à l'hôpital d'Arles en 1889.
En 1890, il découvre une importante exposition d'art japonais qui le frappe profondément. Alors qu'il était en retrait par rapport à ses aînés, il se met à mettre en oeuvre ses théories sur la lumière et la division des couleurs. En 1899 il publie son essai intitulé D'Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, où il théorise sa conception de la peinture moderne, qui se présente comme un dépassement de ses premières amours pour Monet et son univers. Il n'a appliqué ses principes révolutionnaires qu'à partir de 1889, en relation avec son intérêt croissant pour les marines. Le peintre a d'ailleurs une sorte de double vie esthétique, d'une part il brosse des toiles très dépouillées qui font songer à Puvis de Chavannes, de l'autre, il compose des toiles où l'esprit du divisionnisme est exaspéré comme c'est le cas avec le Portrait de Félix Fénéon.
En somme, il passe sans cesse d'une création relativement sage à une autre qui est vraiment une nouvelle donne de l'art. Il n'est que de voir les deux versions de Femmes au puits (1893) peint pendant son séjour à Saint-Tropez. Il est évident que Signac ne parvient pas à faire un choix définitif entre deux aspirations. Il peint des arbres qui ont un aspect déconcertant et utilise les canaux de Venise où il se rend en 1904 pour offrir une autre manière d'appliquer ses idées picturales les plus tapageuses. Son Port de La Rochelle, achevé en 1924, prouve qu'il n'a pas renoncé à travailler dans le sens exposé dans son ouvrage. Cette étude permet de se faire une idée du projet qui a porté Paul Signac à ce genre de recherche poursuivie même après le fauvisme et le cubisme, mais sans cesse avec des métamorphoses. Comme toujours dans cette belle collection, il y a de nombreux et passionnants documents en tous genres pour comprendre la démarche de cet artiste dont la démarche est plus complexe qu'on ne pourrait le penser.




Balthus ou son ombre, François Rouan, Galilée, 118s. p., 20 euro.

François Rouan, en dehors du fait qu'il est un peintre d'excellence, a un très joli brin de plume. C'est un régal de le lire car son écriture est raffinée sans être jamais pompeuse. Dans cet ouvrage il évoque les souvenirs qu'il conservés de Balthus, disparu en 2001. Il l'a rencontré pour la première fois en 1965, à l'occasion de son exposition au musée des Arts décoratifs de Paris. Puis il l'a fréquenté pendant sept ans à Rome, d'abord comme pensionnaire de la Villa Médicis à partir de 1971, puis lorsqu'il a choisi de domicilier son atelier à Lunghezza. L'attirance que Rouan a pu éprouver pour cet artiste si curieux e t si loin des grands courants animant l'art moderne, est assez déconcertante car il a développé sa propre oeuvre dans une direction très éloignée et qui repose surtout sur les principes de l'abstraction. Mais est-ce aussi étrange que cela ? Je ne pense pas qu'un créateur digne de ce nom, qui a choisi une conception bien précise et rigoureuse de son travail, ne puisse ressentir de l'admiration pour un de ses pairs qui s'est avancé dans un territoire diamétralement opposé. Si, dans son propos liminaire, il le place sous le signe de l'ombre. Il y aurait donc, à ses yeux, un sort de dédoublement de cette personnalité curieuse, autant sur le plan artistique que dans le champ spécifique de la peinture.
Rouan s'est pris de passion aussi bien pour l'homme que pour son oeuvre. En 1972, il est allé rejoindre Balthus à Montecalvello où il peignait alors. Il a pu assister à l'étrange manège du peintre avec son jeune modèle, Michelina, qui est capricieuse, qui parfois refuse de poser, ce qui ne semble pas affecter trop Balthus. La toute jeune fille semble introduire dans l'appartement du peintre un je ne sais quoi de singulier avec un « mutisme d'équinoxe ». Il rappelle que l'épouse de ce dernier, Setsuki, a souvent pris la pose pour lui dans les années 1960. Pui est venue Katia, la soeur de Michelina. Puis Rouan, à l'époque du décès de Balthus, se remémore son atelier et des choses bien singulières, comme le fait qu'il lui arrivait de ne pas retourner dans son atelier rendant longtemps ou alors des changements imprévisibles dans l'arrangement des figures. Il nous fait aussi découvrir es photographies de ses modèles - clichés pris par une amie, Brigitte. Celle-ci les a proposés à Balthus pour travailler. Dans le chapitre suivant, il nous parle d'une escapade à Rossinière faite au printemps 1990.
Balthus avait des soucis pratiques avec ses tableaux, en particulier avec Le Chat au miroir. Rouan en profite pour esquisser sa manière de se représenter comment Balthus a peint, tournant autour d'un songe, « mais non pas pour circonscrire une plénitude ». Il en vient à évoquer la figure de Giacometti, puis celle de Klee (un rendez-vous manqué !) Et il nous narre comment il a collaboré au sauvetage des toiles de Balthus, pourtant si méticuleux, mais qui s'est retrouvé devant un problème technique sérieux ! Par la suite, il nous conte un second séjour à Rossinière qui a eu lieu en 1993. Et là, il décrit l'atmosphère que distillent les gestes de ses figures. Rouan parle de violence et de brutalité, mais sans doute a-il raison. Enfin, il parle d'un autre séjour dans le chalet. Il s'attache à nous entretenir du lieu où Balthus élabore ses oeuvres. Là encore, il nous surprenant quand il parle de l'aide qu'il lui apporte à la préparation des couleurs ou au dessin. D'autres souvenirs, plus anciens, sont alors égrainés. Ce livre est un petit bijou et il exige de nous de considérer le comte de Rola (ainsi se faisait-il appeler !) dans une toute autre perspective et nous lui en sommes gré.




Dans les décombres de Julien Blaine (Après le grand dépotoir), Julien Blaine, «  c'est mon dada », Redfox Press, s. p.

L'auteur a composé ces pages au cours de l'année 2020. Il s'agit pour l'essentiel d'inscriptions murales à la bombe, en noir ou en rouge pour l'essentiel, où il fait des déclarations brèves sous forme de slogans. C'est une collections de jeux de mots, bon sou mauvais (ces catégories ne s'appliquent pas ici), où il manifeste un aspect de son jeu poétique, qui peut se révéler volontairement insolent ou naïf, ou encore digne d'Alphonse Allais. Julien Blaine aime bien attirer ses lecteurs dans des régions où l'esprit n'est pas de mise et où la farce (un peu grossière) est mise en avant. Il y a chez lui un désir assez surprenant déjà depuis un bon nombre d'années de porter l'art et la poésie jusqu'à l'inadmissible. Cet homme cultivé et intelligent joue à la bête et nous place dans une posture assez embarrassante : doit-on en rire ou s'en indigner, en disant que c'est vraiment un comportement de collégien indiscipliné et iconoclaste en diable. Il se joue de nous, tout comme il est très ironique sur son propre compte. Mais qu'est-ce à dire ? Peut-être qu'il pratique la politique radicale de la terre brûlée pour que nous puissions prendre conscience du grand désastre qui frappe la culture occidentale. Je vous très bien Julien Blaine en compagnie du groupe des Incohérents à la fin du XIXe siècle car il en perpétue la tradition.
Avec eux, les beaux harts et la haute poésie étaient mis à mal, ridiculisés, bafoués, piétinés sans précaution aucune. Ses digressions sur « or » et « hors » ont sans doute quelque signification, mais semble un jeu gratuit destiné à nous faire basculer dans une sorte de néant du langage. Ecrire est devenu une insulte au bon sens (cela passe encore), mais à l'intelligence. Oui, il n'a cure de choquer, d'autant plus qu'il ne touche à rien de ce qui pourrait sembler d'une quelconque importance. Il érige la bêtise au rang de valeur suprême de ses « oeuvres », qui ne sont pas des oeuvres à proprement parler, mais le déroulé d'un discours ravageur qu'il a commencé voilà longtemps pour montrer que la création n'est plus que ce grand dépotoir sans valeur.
Il est assez ambigu dans sa démarche car il participe de cette destruction de l'écologie de la culture. Pourquoi donc s'acharner ainsi ? Parce qu'il semble convaincu que nous avons franchi une ligne rouge et qu'il ne nous reste plus que la dérision à outrance pour faire partie du monde sacré des arts. Il s'affirme comme artiste à plein temps tout en se niant comme tel. Le rire rabelaisien est son motus. Mais il ne nous propose pas d'Abbaye de Thélème ! Il n'y a pas de moyen d'échapper à cet enfer grotesque et comme on a coutume de dire : il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Alors, il rit à gorge déployer, un rire pantagruélique et nietzschéen à la fois (si tant est que ce soit possible).




Le Visiteur de marbre et autres oeuvres théâtrales, Alexandre Pouchkine, traduit du russe et postfacé par Andrei Vieru, « Compagnons de voyage », Vendémiaire, 360s. p., 20 euro.

Parler du théâtre de Pouchkine (1799-1837), à brûle-pourpoint, ce serait comme parler de l'inconnu. En réalité nous le connaissons en partie très bien car il est l'auteur de Boris Godounov, achevé en 1825, qui est devenu le célèbre opéra de Modeste Moussorgski, créé en 1874, et aussi celui de L'Invité de pierre, qu'Alexandre Dargomyski a transformé en opéra en 1872. En réalité, toutes ses pièces se sont de peste retrouvées sur les scènes de théâtres lyriques du monde entier. Le Festin en temps de peste (1830) est devenu l'oeuvre du musicien César Cui en 1901.
La Roussalka (1832) est adoptée par Alexandre Dargomyski en 1856. Le traducteur dans sa postface, digresse longuement, trop longuement, sur la traduction, question d'ailleurs fort intéressante, mais un peu hors sujet dans le cadre de ce livre. En revanche, il nous révèle, si nous ne sommes pas russophone, ce qu'est la spécificité de la langue qu'utilise Pouchkine, qui se caractérise par sa légèreté, son= élégance, son euphonie. Mais s'il a été un maître du langage, il a été aussi un adepte de la clarté et aussi un réaliste avéré. Le traducteur nous apporte par ailleurs des indications pertinentes sur ces grands drames, considérant que Boris Godounov est la tragédie de la trahison, mais aussi celle des mille turpitudes engendrés par la convoitise du pouvoir. La plupart des personnages sont des êtres vils (rares sont les exceptions) et le peuple est regardé avec un certain mépris. Pouchkine aurait considéré tout ce qui a trait à la politique avec un mépris souverain.
Dommage qu'il n'ait pas développé plus avant un décryptage de cette pièce emblématique et aussi des autres. Mais il note de temps à autre des questions singulières, comme celle de l'antisémitisme dont le poète a été coupable dans Le Baron avare. Il fait aussi des remarques divertissantes sur le rôles des femmes (en soulignant que Pouchkine était réputé avoir eu 149 maîtresses !). Quoi qu'il en soit cette édition est remarquable, car elle nous incite à comprendre qui a été vraiment Pouchkine et le poids énorme qu'il a eu dans la sphère du théâtre et dans celle de l'art lyrique. Nous y découvrons Mozart et Salieri, histoire bien connue qu'il a interprété de manière originale. Dans cette très courte pièce écrite en 1830, il met en scène le conflit entre les deux musiciens à l'époque où Mozart compose son Requiem. Rimski-Korsakov le met en musique en 1901. Pouchkine a forgé ce mythe, qui a ensuite été jusqu'à faire de Salieri le meurtrier de l'auteur de La Flute enchantée. La création de l'opéra ne fera que rendre encore plus titanesque ce conflit entre ces deux compositeurs. Enfin, il y a l'histoire pathétique de Roussâlka (Antonìn Dvorak a écrit une Rusalka en 1900, mais inspirée par un poète tchèque) et aussi une version très singulière du Don Juan avec Le Visiteur de pierre. Il n'y a pas une de ces pièces qui n'ait été transformée en une oeuvre lyrique et présentée sur les scènes des opéras du monde entier. En somme, Alexandre Pouchkine, en dehors de sa poésie, est omniprésent dans notre culture sans qu'on en ait vraiment conscience !




La Valise, Sergueï Dovlatov, traduit du russe par Jacques Michaut-Paternò, Editions de la Baconnière, 174s. p., 14 euro.

C'est Samuel Brussels qui m'a fait découvrir l'oeuvre de Sergueï Doblatov (1941-1990) quand il dirigeait la très belle maison d'édition Anatolia au sein des Editions du Rocher. Il avait fait une belle découverte. Je n'a pas tout lu de cet auteur peu ordinaire à l'époque et je le regrette. La publication de La Valise vient à point nommé compléter mes connaissances. C'est un roman qui sort tout à fait de l'ordinaire. Il doit avoir sans l'ombre d'un doute quelque chose d'autobiographique. Mais jusqu'à quel point ? Impossible de le dire. De plus il raconte différents épisodes de la vie de son narrateur qui se déroulent à différentes époques de sa vie. Il n'y a pas un récit linéaire, mais des épisodes qui n'ont pas forcément une solution de continuité.
Le thème de la valise est lié à l'immigration à la fin de la période soviétique : on ne pouvait pas prendre plus que trois valises. Notre héros, lui, n'en a qu'une ! L'auteur, lui, est parti aux Etats-Unis en 1979 avec sa mère après un séjour à Vienne l'année précédente. Il a pu publier enfin bon nombre de ses ouvrages. Il a représenté un cas dans la littérature soviétique : il avait rompu tous les ponts avec la grande tradition littéraire russe, mais aussi avec la production livresque d'après la Révolution. Il n'avait pas partie liée avec les écrivains de son temps, même les plus contestataires. Il annonçant déjà une autre époque. Ce qu'il nous révèle, c'est une liberté de ton d'après le communisme. Il déroule ses histoires de manière échevelée, avec des histoires qui s'enchevêtrent, un peu picaresques, pas toujours logiques, et avec une sacrée dose d'humour désacralisant. Il n'a pas peur de flirter avec le grotesque et l'absurde, le comique le plus débridé et a dépeint une galerie de portraits pittoresques qui sont des caricatures pitoyables et donc peu reluisantes.
Il décrit un pays qui se délite et qui est en train de littéralement se décomposer. Tout ici est digne de Guignol et de cette tradition de l'humour rebelle. Et pourtant, on découvre les tares du régime, le mode de vie calamiteux de cette période qui marque la fin de l'U.R.S.S. Sa drôlerie n'est pas exclusivement critique : elle traduit comme une prise de vue sans filtre, sans trucage, sans le moindre raffinements technique. C'est assez but et sans nuances - à première vue. Car Sergueï Dovlatov est un écrivain habile et talentueux qui sait préméditer et fignoler ses effets tout en donnant une impression de débraillé absolu.
Il ne joue pas au grand écrivain, au contraire (c'est l'inverse de Pasternak), car cela aussi fait partie de cette autodérision qui est de mise d'un bout à l'autre de son ouvrage. Mais sa lecture révèle de manière flagrante l'effondrement matériel et moral d'une grande puissance, qui ne tient qu'à un fil et qui ne va pas tarder à s'effondrer comme un château de cartes. Sergueï Dovlatov, nous diverti, c'est certain, mais il nous instruit avec beaucoup de sagacité sur les décennies qu'il a vécues et qui ont correspondu au crépuscule de la patrie du socialisme.
Gérard-Georges Lemaire
21-04-2021
 
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du 6 au 28 Octobre 2012
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Christophe Cartier / Gisèle Didi
D'une main peindre...
Préface de Jean-Pierre Maurel


Christophe Cartier

"Rêves, ou c'est la mort qui vient"
édité aux éditions du manuscrit.com