Dans l'exposition Ukraine, visions(s) (jusqu'au 9 juin à la Gaîté Lyrique), les textes et les photographies en couleurs se complètent admirablement pour imposer l'âpre évidence d'une guerre de haute intensité, cruelle, injuste, effroyable et à nos portes... Il y a un peu plus de deux ans en effet, sous un prétexte insane mais manipulateur («la dénazification»), une dénomination opaque (« opération spéciale ») et au mépris des règles du droit international, le président Poutine a envoyé son armée conquérir l'Ukraine, dont le peuple avait pourtant fait le choix clair, depuis 1991, de se rattacher à la communauté européenne.
Fondé en 2005, le collectif MYOP rassemble aujourd'hui 21 photographes écrivant en images une histoire sensible de notre époque. Le réseau PEN international, quant à lui, fondé sur une charte datant de 1921, vise à protéger la liberté d'expression, à soutenir les auteurs persécutés et à défendre les droits linguistiques et culturels. Le collectif français MYOP a ici invité les auteurs de PEN Ukraine à un dialogue entre textes et images autour de cette Ukraine d'aujourd'hui que la guerre a dévastée. Aux photographies désolantes de cratères d'obus, de chaussées défoncées, de carcasses de tanks rouillées, d'immeubles éventrés et noircis par le feu, d'enfants perdus dans les décombres, et à celles accablantes de tombes recouvertes de neige ou effroyables de cadavres abandonnés, éparpillés dans la commune martyre de Boutcha, répondent en chorus des textes, des paroles, des poèmes en vers libres qui donnent profondeur de sens et durée tragique à tous ces instantanés. Ce qu'écrivent Irina Tsilyk, Kateryna Babkina, Serhiy Jadan, Anastasia Levkova, Ostap Slyvynsky n'a pas seulement valeur de témoignages bouleversants mais recèle également d'indéniables qualités littéraires. Un texte remarquable d'Oleksandr Mykhed semble hisser toute l'exposition à un niveau universel, peut-être intemporel. Le malheur est de retour en Europe : une forme de tyrannie barbare tente de soumettre ou écrabouiller une jeune démocratie. Et si vous ne pouvez/voulez pas l'entendre, les photographies de Guillaume Binet, Laurence Geai, Zen Lefort, Chloé Sharrock, Michel Slomka, Adrienne Surprenant du collectif MYOP vous le font voir... On se souvient à cette occasion de ce Visa d'or News attribué - il y a deux ans lors du Festival « Visa pour l'image » (cf. Verso Hebdo du 22-9-22) - aux ukrainiens Evgueniy Maloletka et Mstyslav Chernov (Associated Press) pour leurs photographies percutantes sur le piège infernal de Marioupol. C'était alors l'enfer, tout simplement... Donc photographier, écrire pour l'Histoire. Dans le texte qui présente cette exposition, il est dit que « la conviction des photographes comme des poètes est de croire toujours à la puissance des images et des mots comme objets d'un sauvetage possible ». Sauvetage hors de l'indifférence qui submerge tout.
L'exposition Extérieurs - Annie Ernaux & la Photographie (jusqu'au 26 mai à la Maison Européenne de la Photographie) associe une sélection de textes tirés du livre Journal du dehors (1993) d'Annie Ernaux à quelques 150 tirages réalisés par 29 photographes, choisis dans la collection de la MEP. L'exposition est le fruit d'un travail mené, un mois durant, par la commissaire et écrivaine Lou Stoppard en mai 2022. Il s'agissait, autant que faire se peut, de lier photographie et littérature... Et cette démarche semblait d'autant plus pertinente qu'Annie Ernaux, intéressée depuis longtemps à la photographie, dans Journal du dehors précisait ainsi sa démarche : « J'ai cherché à pratiquer une sorte d'écriture photographique du réel, dans laquelle les existences croisées conserveraient leur opacité et leur énigme ». Descriptifs et échappant aux métaphores qui dévient la perception vers l'imaginaire, les textes d'Annie Ernaux, affichés sur les murs comme des tirages photographiques, à côté d'eux, sembleraient correctement se prêter à l'expérience. D'inspiration nettement sociologique (on y reconnaît Pierre Bourdieu aussi bien qu'Erving Goffman), les scènes décrites pointent les inégalités sociales, les rapports de pouvoir, les statuts et les rôles, la théâtralité de la vie sociale. Mais le dispositif d'ensemble ne fonctionne pas vraiment comme on le souhaiterait... D'abord les textes font référence à un espace-temps entre Cergy-Pontoise et Paris de 1985 et 1992 tandis que les photographies sélectionnées couvrent la période de 1940 à 2010 et peuvent être prises au Japon, aux Etats-Unis, en Angleterre, etc. Ce qui peut créer chez le visiteur de la perplexité, voire de la confusion. Ensuite les différents textes d'Annie Ernaux, par la mobilité des conduites finement décrites, comme ceux d'un Balzac ressortissent en fait davantage du cinéma ou de la vidéo que de la photographie. Il s'agit de microévénements saisis dans leur temporalité. Enfin les choix subjectifs de Lou Stoppard associant tels photographe à tel texte, s'ils peuvent être lumineux pour certains visiteurs, peuvent sembler totalement factices à d'autres... Pourtant il émane synthétiquement de cette exposition associant les photos et les mots une forte impression globale de sympathie, voire d'empathie. On pourrait la traduire ainsi : il s'agit de cette rare mais précieuse attention aux autres, aux passants, aux invisibles... Qui restent nos semblables.
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