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[verso-hebdo]
11-04-2024
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Les Oracles, Margaret Kennedy, traduit de l'anglais par Anne-Christine Homassel, Quai Voltaire, 368 p., 24 euro.

Margaret Kennedy (1896-1967) a été un peu oubliée ces derniers temps. La parution en français du Festin m'a permis de découvrir un auteur de valeur et assez étrange. Elle a fait d'excellentes études et est entrée au Somerville College d'Oxford en 1915.Si elle comptait déjà se consacrer à la littérature, elle a publié un premier livre qui était historique en 1922, A Century of Revolution. Elle a fait paraître son premier roman, The Ladies of Lyndon un an plus tard. Sa première oeuvre remarquable n'a pas tardé à voir le jour en 1924, The Constant Nymph.  Elle s'est tenue à l'écart des avant-gardes, en particulier du cercle du Bloomsbury. Cela ne l'a pas empêchée d'être appréciée et elle a commencé à publier des oeuvres de fiction régulièrement, connaissant un certain succès. Le pic de sa gloire a été dans l'immédiate après-guerre.
Elle a aussi écrit pour le théâtre et plusieurs de ses ouvrages ont été adapté au cinéma. Ce qui saisit le plus quand on lit ses romans, et ici, The Oracles (paru en 1955) est sa étonnante faculté de planté un décor, de l'inscrire dans un lieu bien spécifique (dans le cas d'engendrer une foule de personnages et de créer des liaisons de toutes sortes entre eux présents dans les environs de Bristol). Elle nous présente les personnages (nombreux) de son histoire avec singularité car elle mêle la chronique sociale  et psychologique  (digne de la fin du XIXe siècle) et une pointe d'ironie légère, mais qui fait néanmoins mouche. C'est un curieux mélange de peinture détaillée de la côte galloise non loin de Bristol. Et sa peinture du monde des habitants de Sommersdown, près deEast Head. Les deux points géographiques de cette intrigue est d'une part celle de la demeure de différentes personnes du cru. On apprend quels sont les liens qui unissent toutes ces personnes, sans entrer dans les détails.
L'histoire commence quand se prépare chez un artiste nommé Conrad Swan. Celui-ci jouit d'une certaine notoriété, mais tout le monde ne s'accorde pas sur son talent. Un violent orage se déclenche et la foudre tombe. Une chose se retrouve dans le jardin de l'artiste : elle a pris l'apparence d'une sculpture. Mais Swann a disparu et personne ne sait où il avait bien pu aller !
A ce point, l'auteur remonte le cours du temps et raconte des moments éclairants de l'existence de Swann. Cette dernière revient de temps à autre et nous éclaire sur ce sculpteur plutôt controversé. Sa disparition soudaine frappe tout le monde et fait naître de vagues hypothèses. Notre écrivain prend plaisir à nous perdre dans un dédale d'histoires qui mettent en scène un grand nombre de ceux qui se sont installés dans cette région. C'est un véritable labyrinthe ! Mais elle prend garde à ce qu'on puisse tirer un plaisir inouï de ces imbroglios qui sont révélateur d'un état d'esprit propre à cette époque.
Il faut se souvenir que cette oeuvre est née au cours des années 1950 et qu'elle reflétait ce que l'action se déroule au cours de l'après-guerre (il est fait référence à la Seconde guerre mondiale. Ainsi, Margaret Kennedy a-t-elle jouée sur ce semblant de monde « antique » et la modernité où elle a tenu à s'inscrire. C'est avec un art consommé du romanesque qu'elle a élaboré ce roman, qui peut se lire encore aujourd'hui avec surprise et délectation.




Le  vantail de neige, Emily Holmes Coleman, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Agnès Desarthe, « Pavillons », Robert Laffont, 222 p., 19 euro.

Marthe Geil est l'héroïne de ce roman des plus singuliers . Dès les premières pages, on comprend rapidement  qu'elle se trouve dans un établissement munis de barreaux aux fenêtres. On découvre dans un lieu qui pourrait être un hôpital ou un asile. Tout semble être inquiétant pour Marthe, aussi bien les lieux que les personnes qu'elle croise dans les couloirs ou au réfectoire. Ce jour-là, elle attend un docteur. Il s'agit bien d'un hôpital. Marthe songe à son enfant qu'elle croit mort et, parfois, elle est certaine d'être Dieu en personne. Le passé et le présent se confondent dans ce récit, qui fait apparaître ses parents, ses amis, ses relations et les internés en chair et en os. Beaucoup de médecins et d'infirmières. Il n'y a pas ici de véritable intrigue croissante, mais des moments de l'existence de cette femme qui a perdu le sens commun. C'est une sorte de narration hallucinatoire où seuls les désordres de l'esprit conduisent la danse. C'est néanmoins une fiction prenante et captivante, car peu à peu, l'existence de Marthe prend de l'épaisseur, devient une sorte de rébus psychique assez complexe et qui se dévoile de page en page,dans une tension.
C'est aussi un peu déroutant, mais n'est jamais ennuyeux ou factice. Cet ouvrage a été publié en 1930, puis a sombré dans l'oubli le plus total. Cette édition fait découvrir cet écrivain en 1899 en Californie et. Après avoir achevé ses études, elle a épousé un psychologue. Elle a eu un fils, John en 1924. Peu après elle a eu une grave fièvre puerpérale et a dû être internée. Elle a donc une expérience de première main de cet univers carcéral où l'on enferme ceux qui sont affectés d'une maladie mentale. Cette expérience est sans nul doute la source de ce livre. A partir de 1926, elle est venue vivre à Paris où elle est-devenue la rédactrice en chef de La Tribune de Paris. Sa mort est survenue en 1974.  




Bivouac sur la lune, Norman Mailer, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Rosenthal, « Pavillons poche », Robert Laffont, 548 p., 12, 50 euro.

Nachem Malech Mailer est né à Long Branch, dans le New Jersey en 1923. Son père était-familièrement surnommé Barney. Le garçon a grandi dans le quartier de Brooklyn à New York. Après avoir terminé ses études secondaires, il est entré au Harvard College. Il a écrit sa première nouvelle en 1941, The Geatest Thing in the World.
Il est diplômé à Harvard deux ans plus tard. Il se marie en 1944. Mais il a bientôt été appelé sous les armes. Après sa formation, il est envoyé dans les Philippines dans un régiment de cavalerie. Il ne participe pas aux combats car il est affecté dans un bureau. Puis il est affecté au Japon. Pendant ces mois passés sous l'uniforme, il écrit de très nombreuses lettres qui vont être le fondement de son premier ouvrage, The Naked and the Dead, qui a été publié en 1948. Il va connaître un succès indéniable (il est best-seller pendant soixante-deux semaines). Il est devenu, comme ce fut le cas pour Truman Capote, l'un des plus célèbres auteurs mêlant journalisme et romanesque.
Après la guerre, il a suivi des études à Paris et apprend la langue française. Il a continué à écrire, mais n'a produit que douze autres de fiction. Il a aussi conduit une carrière brillante de journaliste, commençant par collaborer au Village Voice. Entre 1969 et 1970, il écrit des articles sur l'expédition d'Apollo XI et les premiers pas d'un homme sur la lune. Cela donné ce gros livre, A Fire on the Moon - Bivouac sur la lune.
Pour lui, comme pour beaucoup cela a été l'événement le plus marquant du XXe siècle. Il a salué cet exploit technologique et scientifique et a aussi recueilli le témoignage des astronautes, de savants ayant pris part à l'élaboration de ce voyage spatial et il a visité les lieux les plus importants de cette épopée qui a eu une résonance mondiale C'est à la fois le récit polyphonique de cette mission qui a changé le sens de l'histoire. C'est une longue suite de réflexions sur cette aventure qui était la réalisation d'un très vieux rêve de l'humanité. Il faut reconnaître que ce volume est une magnifique analyse de ce qui aurait pu sembler une douce folie vingt sans plus tôt. C'est un superbe vadémécum pour comprendre le déroulement des opérations et pour en comprendre la portée pour notre civilisation.




Un fils comme un autre, Eduardo Halfon, traduit de l'espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, Quai Voltaire, 204 p, 17,50 euro.

Eduardo Halfon est né à Guatemala en 1971. Il est issu d'une famille juive, son père étant séfarade, et sa m ère à moitié ashkénaze et séfarade. Il a fait ses études d'ingénieur aux Etats-Unis (Floride et puis Caroline du Nord). Une fois diplômé, il est rentré dans son pays et y a exercé la profession d'ingénieur. Il s'oriente vers la littérature et il  enseigne huit  cette matière à université. Il a publié son premier ouvrage littéraire en 2003 qu'il qu'il a fini par intituler Saturne (le premier titre était : Ceci n'est pas une pipe, inspiré par un célèbre tableau de René Magritte.
Il a rapidement été considéré comme un brillant écrivain. Il a écrit une dizaine de volumes, dont une bonne moitié a été déjà traduit en français.Le présent ouvrage est une collection de nouvelles assez brèves. Celles-ci ont une indéniable saveur autobiographique, mais s'il construit la trame à partir de ses réminiscences ? il les associe toujours à d'autres thèmes qui apparaissent sans relation directe avec ce qui nous l'impression d'un récit autobiographique. Ces pièces sont écrites avec beaucoup de simplicité et ne cherchent pas à entraîner le lecteur dans un dédale.
Au contraire : la limpidité est sa marque de fabrique. Cela étant dit, il les nourrit de considérations qui ne font qu'enrichir son propos. Ce livre se lit avec délice et l'on comprend peu à peu que leur auteur n'est ni un styliste, ni un amateur d'univers cryptique, il est néanmoins un homme en quête de ce que l'écriture peut apporter à une exploration de notre univers mental. J'ai trouvé Un fils comme un autre une somme de fictions remarquables, qui donne à tout un chacun la joie pure de la lecture. Et il fait penser qu'Eduardo Halfon est un homme de lettres encore en devenir qui devrait nous offrir d'ici peu des oeuvres encore plus élaborées et prenantes.
Gérard-Georges Lemaire
11-04-2024
 

Verso n°136

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