« La vieillesse nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage », écrit Montaigne dans ses Essais. Ces rides de l'âme, sillons de la mémoire, Claus Drexel, par tous ces gens du troisième âge qu'il a rencontrés et laissé parler dans son documentaire Les Vieux, a su nous les rendre attachantes. Et différemment figurées... Âgés de 80 ans à plus de 100 ans, les vieux filmés par le cinéaste d'origine allemande peuvent tout d'abord porter en eux un fragment d'Histoire, une époque (pour l'un c'est le moment festif et inoubliable de la Libération, pour l'autre c'est la guerre d'Algérie ; pour celle-ci c'est la terreur de l'Occupation nazie et pour celui-là c'est la guerre d'Indochine), preuve que nos souvenirs ne se réduisent pas seulement à de l'intime. Ensuite, désormais bien plus abondants que leurs projets, leurs souvenirs les attachent à toute une vie consacrée à un labeur, dont ils regrettent parfois la dégradation. Enfin les rides de l'esprit peuvent être linéaments d'un amour qui a duré, a disparu, ou dure encore... Mais la vieillesse détermine aussi une situation présente, une condition : certains vivent seuls et isolés, d'autres sont encore en couple quand d'autres encore connaissent - avec plus ou moins de satisfaction - la collectivité des EHPAD. Les misères de santé ? Elles sont plutôt absentes du documentaire, le réalisateur ayant sans doute estimé que la complainte hypochondriaque lasserait vite le spectateur. À part la surdité, prise sur le ton de l'humour, point de rabâchage donc sur l'arthrose ou les pertes de mémoire... En revanche, et c'est une indéniable originalité du film, la situation présente de ces personnes âgées, est aussi rendue par la région dans laquelle ils vivent (Alsace, Corrèze, Auvergne, Cantal, Pays basque, etc.) et qu'évoque le cinéaste en longs plans fixes de paysages naturels ou de sites industriels. Également par leur appartement (en général cossus, élégants) et par les objets-signes dont ils s'entourent (photos bien sûr, bibelots et « souvenirs »... c'est le cas de le dire). D'ailleurs la première personne âgée rencontrée, le baron d'Aligny, vit nostalgiquement dans un château par exception entretenu, mais pour combien de temps, par sa fille. Quant à leur futur - le néant, à un horizon proche désormais - il n'est pas éludé par le film, qui se charge ainsi d'une gravité sans emphase. La mort... Certains y sont prêts, d'autres l'attendent (ou auraient aimé par un suicide la hâter), mais il y a celle qui, toujours pleine de jeunesse, n'y croit pas. Bref, à partir d'une condition commune, la vieillesse, Claus Drexel expose avec tact de multiples façons de l'éclairer, de l'assumer. Des dessins variés avec les mêmes rides de l'âme.
Un jeune. D'aujourd'hui... 17 ans, lycéen. Les boîtes, les jeux vidéo, instagram : comme des millions d'autres jeunes. Sauf que celui-là s'appelle Zé, est mongol, vit à Oulan- Bator, capitale de la Mongolie et pratique le chamanisme ! Le premier long-métrage de la réalisatrice et scénariste mongole Lkhagvadulam Purev-Ochir, 35 ans, Un jeune chaman, confronte finement à la modernité ce qui reste des traditions chamaniques. Et cela à travers les débats intérieurs supposés d'un jeune homme taraudé par la puberté - ou, pour le dire plus poétiquement, touché par « L'Éveil du printemps » (Wedekind) - qui cherche l'amour d'une jeune fille et un sens spirituel à donner à sa vie. Les deux ne font pas précisément bon ménage : par exemple la mutine et sémillante Maralaa (Nomin-Erdene Aryunbyamba) qui plaît tant à Zé ne croit pas du tout aux rituels chamaniques. Elle trouve même que c'est de l'escroquerie ! Le jeune homme est pourtant un garçon droit, sérieux, introverti, plutôt timide (le comédien, Tergel Bold-Erdene, fait passer tant de choses dans ses yeux de velours qu'il a décroché le prix de la meilleure interprétation à la Mostra de Venise l'an dernier), qui ne se satisfait guère plus du vacarme clignotant des boîtes de nuit que du fétichisme scintillant de la marchandise. Son fétichisme à lui se niche en effet ailleurs : par exemple dans le masque impressionnant qu'il porte lorsqu'il revêt son costume traditionnel de chaman. La réalisatrice décrit, par une suite de séquences bien choisies et calibrées, un malaise existentiel qui, en dépit de l'éloignement exotique, devrait parler à beaucoup de spectateurs, qu'ils aient 20 ans aujourd'hui ou qu'ils les ait eus en 1968. Terminer ses études puis bosser pour consommer ? Là-bas l'Eldorado c'est la Corée, où Maralaa a décidé d'émigrer, tout comme la soeur de Zé... Mais le jeune homme, loin des buildings, des centres commerciaux, retrouve le soir sa yourte, médite en jouant de la guimbarde et entre en contact mediumnique avec ses aïeuls. Panoramiques sur les paysages gelés, déshérités de Mongolie ou les arrogants gratte-ciels d'Oulan-Bator. Et lent survol final comme si un Esprit contemplait ce monde sans esprit...
La réalisatrice mongole Lkhagvadulam Purev-Ochir ne se contente pas de critiquer, à travers l'autoritarisme borné d'une enseignante, le reste symbolique de l'ancienne férule communiste, ou bien la vacuité clinquante de ce consumérisme qui a pris la relève. Discrètement, par le biais de la guérison et de la spiritualité chamaniques que le jeune Zé ne souhaite en aucune façon abandonner, elle nous laisse entendre que l'égoïsme hédoniste et matérialiste ne peut pas être la voie...
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