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[verso-hebdo]
18-01-2024
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Immersion, Les origines, 1949-1969, sous la direction de Chogakate Kazarian & Camille Lévêque-Claudet, musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, Editions Hazan, bilingue, 152 p., 35 euro.

Le terme « immersion » ne correspond pas à un courant de l'avant-garde de la seconde partie du XXe siècle, mais à une modalité créative qui échappe à la peinture et à la sculpture et conçoit l'oeuvre d'art comme un espace où le spectateur est entièrement circonscrit. A la place des auteurs, j'aurais placé au début du livre la photographie de la très grande oeuvre qui s'est très longtemps trouvée dans le hall du Centre Pompidou, où tous les visiteurs devaient se plonger avant de découvrir la collection et les expositions.
Cette création a été retirée après la mort de l'artiste vénézuélien, l'un des plus grands maîtres de l'art optique. Pourquoi ce retrait ? Je l'ignore. Mais il retirait quelque chose de ce lieu si particulier. Et j'aurais également placé une vue de la salle des Nymphéas de Claude Monet au musée de l'Orangerie, achevé en 1927, mais qui provient de la fin du XIXe siècle. Dans ce volume sont détaillées les créations de quelques auteurs ayant éprouvé le besoin de nous placer dans un espace nous englobant totalement. La première oeuvre prise en compte ici est celle que Lucio Fontana avait présentée à la galleeria del Naviglio à Milan en 949 et intitulée Ambiene spaziale a luuce nera. Il s'agit d'une sculpture qui se trouvait à proximité du plafond de la galerie. Il l'a présentée à plusieurs reprises lors d'expositions à l'étranger et lors de rétrospectives, afin de souligner l'importance qu'il attribuait à cette manière d'appréhender l'espace.
Plus tard, il a réalisé des pièces de grandes tailles en néon à l'occasion de la Triennale de Milan et qui était devenue une façon nouvelle d'envisager ce qu'il considérait comme étant le spatialisme qu'il avait annoncé dans son Manifeste blanc de 1947. La lumière de ces néons formant des boucles dans le ciel imaginaire de la salle plongée dans l'obscurité -engendrait une conception inédite de relation esthétique. Fontana a été vraiment le pionnier dans ce domaine avant le Minimal Art américain. Yves Klein, en 1958, dans la galerie Iris Clerc, a conçu la Spécialisation de la sensibilité à l'état de matière première en sensibilité picturale stabilisée, souvent appelée Le Vide.
L'on pénétrait dans un lieu où il n'y avait proprement rien ! Quant à lui, Pinot Gallizio a imaginé entre 1958 et 1959 une Caverne de l'anti-matière, qui avait un eu l'apparence d'une grotte préhistorique, mais entièrement peinte, qui était une sorte de long décor mêlant le préhistorique et la modernité. C'était un décor ludique joignant les deux bouts de l'histoire de l'art. Allan Kapprow a su l'idée de son Apple Shrine en 1960, présentée au Paul Getty Resarch Institute de Los Angeles.
Il s'agissait d'une sorte de labyrinthe brouillon qui évoquait de loin le Merzbau de Kurt Schwitters. Les autres compositions choisies par les co-auteurs sont le plus souvent des labyrinthes. C'est en tout cas ce qu'on observe avec Robert Morris, Stan VanDder Beek avec son Movie-Drome, aussi avec la Menesunda de Marfta Minujin & Rubén Santantonin réalisée en 1965. Ce volume, qui présente d'autres expériences, est une excellente introduction à une nouvelle manière de vivre l'art en faisant du spectateur un acteur obligé. C'est une belle initiation à ce tournant de l'activité artistique après la dernière guerre.




Ivan Messac, une vie en images, sur une idée de Marie-Laure Susini, Editions in fine, 42 euro.

Né à Caen en 1948, Ivan Messac s'est passionné pour la peinture avant d'avoir vingt ans. Il a exposé au Salon de la Jeune Peinture en 1969. Il s'est retrouvé aux marges de la peinture figurative, étant plus jeune que ses créateurs et ayant aussi une façon de concevoir la figuration assez différente de ses aînés. De plus, il a souvent changé son fusil d'épaule, ne pouvant se résoudre à suivre un chemin bien tracé. Ce n'était pas par caprice, mais parce que son imagination l'entraînait toujours vers d'autres horizons. Mais son style subissait peu de variations : c'est son approche du sujet et ses thèmes qui changeaient souvent. Dans ce très bel ouvrage, il a raconté avec beaucoup d'invention et de verve son histoire de peintre et de sculpteur sans cesse prêt à surprendre ceux qui s'intéressaient à son travail.
La manière pour laquelle il a opté dans ce livre a consisté à respecter la chronologie, mais un peu sur un ton ludique. Il n'introduit cependant pas un déroulé comique de ce qui a occupé ses jours, mais plutôt une fine dose d'humour qui ne retire rien au sérieux de son travail. Il a aussi puisé son inspiration dans le chaudron des avant-gardes historiques avec des digressions sur F. T. Marinetti et, plus tard, dans les poèmes du grand poète Vladimir Maïakovski dont il a tiré une de ses plus belle série de peintures en 2007.
Puis il s'est pris de passion pour Fernando Pessoa. Ses sujets n'arrêtent pas de varier et l'histoire l'attire autant que les temps modernes. Ce n'est donc pas un artiste volage, mais plutôt un homme qui aime lire et observer l'univers qui l'entoure, traduisant ses sensations avec les instruments du métier. Cet album est une petite merveille et tout le contraire d'un catalogue raisonné. Si vous voulez le découvrir, procurez-vous cet album qui est d'une facture peu conventionnelle, mais vraiment réussie.




Foi, espérance et carnage, Nick Cave / Sean O'Hagan, traduit de l'anglais (Australie) par Serge Chauvin, Quai Voltaire, 368 p., 24, 80 euro.

Le premier problème que pose cet ouvrage est de savoir qui est Nick Cave. Moi, je l'avoue, je l'ignore complètement. Il s'agit d'un musicien australien, né dans la région de Victoria (Australie) en 1957. Il est à la fois compositeur, chanteur et acteur. Il n'a pas souhaité écrire une biographie, mais plutôt publier la longue conversation qu'il a eu avec un journaliste connu dans le monde anglo-saxon, Sean O'Hagan, qui collabore, entre autres, avec The Gardian et The Observer.
Ce dialogue permet de découvrir toutes les facettes des créations de Nick Cave. Cette forme permet de développer les différents aspects de sa personnalité, ses convictions et aussi les orientations de son oeuvre. Sean O'Hagan a très bien su faire parler Cave et rendre très accessible et plaisante ces révélations. Sans jamais faire état de sa vie personnelle, il a néanmoins tenu à exposer ses convictions philosophiques, religieuses ou esthétiques. Il se révèle comme un être curieux de tout, cultivé et qui jamais ne se hausse du col. Il y a dans ces pages beaucoup à découvrir, mais toujours d'une manière plaisante.
Bien sûr, quand on ignore ses créations, la chose demeure souvent énigmatique. Mais je suis certain que bon nombre de mes lecteurs auront une véritable connaissance de ce qu'a pu réaliser Nick Cave. En dépit de mon ignorance, j'ai trouvé ces échanges capables de me sortir de mon ignorance et découvrir un être des plus intéressants. J'ai été surtout frappé par son désir de prendre appui sur de grands poètes du passé, comme Yeats par exemple. Il est évident qu'il y a chez lui une puissante impulsion spirituelle. Mais cela ne le rend pas proche de Walt Whitman ou d'Allen Ginsberg - ce n'est pas un mystique. Il tient des propos pertinents sur l'art et se révèle en mesure de délivrer une expérience artistique aussi vaste que libre. Tout bien pesé, ce livre est un excellent moyen pour faire connaissance avec cet homme qui a une pensée intelligente, mais en rien ésotérique. L'originalité de ses réflexions est surprenante et réjouissante. Si cet ouvrage passionnera ses amateurs les plus aguerris, il saura aussi ouvrir l'esprit de ceux qui l'ignore.




Les Dépossédés, Steve Sem-Sandberg, traduit du suédois par Johanna Chatellard-Schapira, « Pavillon poche  », Robert Laffont, 670 p., 13 euro.

Le ghetto de Lòdz a été, comme tous les autres ghettos d'Europe orientale, la traduction de la volonté du parti national-socialiste de confiner tous les Juifs dans une partie spécifique de la ville. Il y est nommé un Conseil juif, dirigé par un président. Ce dernier, le Judenälteste Mordechai Chaim Rumkowski, a tenté de trouver une solution à l'enfermement de cette importante communauté (environ 250.000 personnes) s'est retrouvée confinée dans un, dès que les Allemands ont constitué le Protectorat de Pologne, ce système de confinement.
Il a préconisé de travailler pour l'occupant. Très tôt, une entreprise de confection fabrique des uniformes pour les soldats. Toutes sortes d'activités se développent a été institué (et cela deux ans avant la solution finale).Pour les uns, c'est un traître, pour les autres, un sauveur. Il doit faire des compromis qui sont loin d'être indifférents (par exemple, évacuer les malades et les vieillards). Il est assez difficile de juger de son comportement et du poids considérable de ses responsabilité. L'auteur a fait un choix pour écrire ce livre : s'il a fait des recherches très poussées pour reconstituer cet univers, il raconte le destin de ces êtres sous une forme romanesque. Et il faut bien reconnaître que le résultat est saisissant : il ne cesse de passer des cas individuels à celui de toute la communauté.
C'est comme un jeu -, celui du chat et de la souris. Il obtient, au moins jusqu'en 1942, des résultats notables. Puis les choses vont se dégrader peu à peu. Mais cet homme énigmatique a fait en sorte que son ghetto n'a pas fini de façon aussi rapide et tragique que celui de Varsovie. La collaboration sans réserve avec les nazis a permis de gagner du temps et, sans doute, de sauver, au début, beaucoup de vie. Mis savait-il quel était le dessein abominable des Allemands ?
Ce qui fait la force de ce roman est qu'il n'est pas larmoyant. Steve Sem-Sandberg a dépeint la vie quotidienne de toutes ces personnes qui sont en surs. .Et sans excès de réalisme, il a souhaité rendre la vérité de cette vie qui se poursuivait dans un contexte surréaliste. L'horreur allait de paire avec une sorte de bizarre normalité reconstituée. Adolf Hitler, alors que l'Allemagne est au bord du gouffre, a déclaré qu'il a au moins une victoire à son actif : la destruction physique des Juifs en Europe. C'était en effet l'un de ses objectifs de guerre.
L'histoire du ghetto de Lòdz est une sorte d'exception (relative) de ce but à atteindre. Les Dépossédés est un livre magnifique, écrit avec beaucoup d'intelligence et de subtilité, qui fait plonger le lecteur dans l'aberration de cette cité au sein de la ville, qui était destinée à disparaître totalement. Il faut se souvenir néanmoins que seuls 900 Juifs ont survécu à la liquidation de ce microcosme qui a aussi résisté tant qu'il a pu le faire.
Gérard-Georges Lemaire
18-01-2024
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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