Quand  Benjamin fait du Fifre d'Édouard Manet le point de fuite de sa pensée sur le sujet de la  peinture.
par  Gérard-Georges Lemaire
      Les  six ouvrages de l’artiste paraissent appartenir chacun à un  univers distinct. Bien sûr une unité bien relative s’ébauche par  le ton général donné à ces créations : elles sont toutes  abstraites, construites grâces à des assemblages curieux de  couleurs, des formes géométriques souvent inachevées, des  « objets » indistincts dérivant dans cet espace. Dans ce  cas précis, c’est le col qui tisse un lien entre chacune de ces  œuvres. 
      Ce  qu’il a voulu retenir des Leçons  de ténèbres,  ce n’est pas une scène, ni même un passage, mais un instant  révélateur. On a l’impression qu’il est allé chercher cette  phrase, ce geste, cette attention donnée à un élément en  apparence secondaire, qui modifie pourtant l’intelligence du reste  du chapitre. C’est ce qu’a fait Marcel Proust dans A  la recherche du temps perdu.  C’est le fameux petit pan de mur jaune dans La  Vue de Delft de Vermeer qui fait comprendre au mentor du narrateur, Bergotte, qui  visite une exposition d’art hollandais alors qu’il est à  l’article de la mort, que quelque chose lui a échappé dans son  entreprise littéraire, qu’il juge, en quittant ce monde, nulle et  non avenue, justement parce qu’il n’a pas su y introduire ce  détail insignifiant qui aurait métamorphosé ses ouvrages et qui,  dans le cas présent, métamorphose tout dans la peinture. 
      Dans  les assemblages de notre peintre, on retrouve toujours ces objets que  l’on croit décoratifs et qui sont, au contraire, les subterfuges  par lesquels le spectateur peut accéder à la signification de son  projet pictural. Ce ne sont pas des symboles ou des objets oniriques  à interpréter, mais de simples indices qui nous mettent sur la  voie. 
      En  réalité, Benjamin (Lévesque) n’a pas réalisé une série, mais  six tableaux où il revisite le même sujet sous un nouvel angle. Il  reprend le col et fait dériver de sa forme arrondie d’autres  sphères plastiques, qui possèdent chacune une identité propre, une  sensibilité propre, une picturalité propre. Il est évident que  l’hypersthénie du peintre fait qu’elles entretiennent les unes  avec les autres une sorte de cousinage troublant, jusqu’à des  relations incestueuses !
Tout  y est suggéré, pas grand chose n’est déclaré : il faut  longtemps fréquenter les tableaux pour prendre la mesure et en  saisir les raffinements. Qui ne sont pas exclusivement formels, mais  liés aux matières employés et aux dispositifs élus à la fin de  sa réflexion. 
      Dans  sa brève présentation de son travail, il nous dit vouloir faire  entendre la voix de Patrizia Runfola. Il y réussit avec bonheur  parce qu’il a su cheminer à son tour dans l’obscurité et  atteindre un point qui n’était peut-être pas celui qu’il  espérait trouver, mais qui répond pleinement à sa quête. 
      En  sorte qu’il a imaginé une façon diverse de concevoir l’art de  peindre, qui est, en partie, une recherche à l’aveugle, et dont le  parcours demeure en partie sur la  toile ou le papier, avec toutes  ces ombres intenses qui sont celles d’une aventureuse (et  dangereuse) recherche de l’absolu qui se traduit par tout ce noir  et cet or éparpillé quelques fois, représentant, à mes yeux, le Château  intérieur de Thérèse d’Avila, mais sans que le but suprême - la lumière  divine - ne couronne ses longues errances, l’or servant  d’empreinte à ce qui en l’être humain fait corps (et âme) avec  quelque chose qui le transcende et qui est en lui.
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- Entretien  avec Benjamin - le 8 novembre 2012 
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