Quand  Benjamin fait du Fifre d'Édouard Manet le point de fuite de sa pensée sur le sujet de la  peinture.
par  Gérard-Georges Lemaire
      Il  ne fait aucun doute que la « belle âme » de Benjamin  (Lévesque) a beaucoup à partager avec l’esprit de ce que Patrizia  Runfola écrivait quand elle parlait de la Mort qui avance :  « et je pense que j’aurais voulu mettre un costume  avec une  petite gorgerette, un habit d’un jaune doré, comme dans une  peinture ancienne, et raconter des choses belles et rares que j’ai  possédées par l’esprit, toutes les émotions dont je me suis  rapprochée sans peur… »
 
 II
Automne  1866 : Edouard Manet présente le Joueur  de fifre au jury du Salon. Il est refusé. Ce n’est pas la première fois  que cette mésaventure lui arrive, et ce n’est pas encore la  dernière. « J’ai envoyé à l’exposition des tableaux ;  je compte en faire des photographies et vous en envoyer : un  portrait de Rouvière,  dans le rôle d’Hamlet […] et un fifre des voltigeurs de la garde… », écrit-il à  Charles Baudelaire le 27 novembre. Mais le portrait de ce gamin qui  fait partie de la garde impériale de la caserne de la Pépinière  n’a pas transporté d’enthousiasme ceux qui l’ont vu dans son  atelier cette année-là, à l’exception d’Emile Zola, qui n’est  encore qu’un tout jeune écrivain et journaliste. Quand le peintre  organise sa rétrospective à l’Alma en 1867, il proclame haut et  fort dans L’Evénement du  7 mai : « L’œuvre que je préfère est certainement Le  Joueur de fifre refusé  […] Sur un fond gris et lumineux se détache le jeune musicien, en  petite tenue, pantalon rouge et bonnet de police. Il souffle  dans  son instrument en se présentant de face. » 
      Les  spécialistes ont tous observé qu’Edouard Manet revenait d’un  bref voyage en Espagne et qui avait marqué par son admiration  renforcée pour Vélasquez qu’il a vu au musée du Prato à Madrid.  D’autres se sont interrogés sur l’identité du sujet, qu’ils  pensent être Victorine Meurent, le modèle préféré de l’artiste.  Enfin, d’autres encore insistent sur le fond absent, qui donne le  sentiment que la figure ressemble à celles de l’imagerie d’Epinal  -, ce que Zola perçoit déjà. 
      Mais  personne ne la met dans la perspective de la démarche de Manet à  cette époque : en 1863, il a présenté Le  Bain (qui sera appelé plus généralement Le  Déjeuner sur l’herbe)  au Salon des refusés, en 1865 Olympia au Salon proprement dit, mais aussi deux tableaux religieux, Le  Christ soutenu par les anges en 1864 et Le  Christ insulté par les soldats l’année  suivante, Ces deux compositions ne lui valent plus les plaisanteries,  les rires et les houris des précédents, mais une hostilité du  public et un assez grand consensus parmi les critiques pour les lui  reprocher. Même Théophile Gautier, plutôt favorable et bien loin  d’être un partisan de la calotte, ne peut le suivre sur ce chemin. Le  Fifre,  thème beaucoup moins sulfureux, arrive après un déferlement de  scandales qui touchent à sa manière de peindre et à sa manière de  traiter ses  sujets, surtout quand ils sont sacrés. 
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- Entretien  avec Benjamin - le 8 novembre 2012 
 par Daphné Brottet
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 ou
 Voyage au bout de la nuit
 (mais c’est déjà pris)
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- Benjamin
 par Sapho
- La  théophanie
 Un homme et une femme regardent un tableau de Benjamin
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- L'art de l'effeuillage
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- Deux clins d'œil :
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 Christophe Cartier
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