Quand  Benjamin fait du Fifre d'Édouard Manet le point de fuite de sa pensée sur le sujet de la  peinture.
par  Gérard-Georges Lemaire
      Après  sa disparition, Manet se transforme en icône de l’art moderne. Ses  toiles sont souvent l’objet de variations en tous genres dont celle  de Pablo Picasso à propos du Déjeuner  sur l’herbe est la plus célèbre sans doute. Picasso a longuement prémédité  cette « adaptation » car il écrit en 1932 après  avoir visité une  rétrospective de l’œuvre de Manet en 1932 au Musée de  l’Orangerie : « Quand  je vois le déjeuner sur l’herbe de Manet, je me dis des  douleurs pour plus tard. » Et, dès 1854, il commence à travailler sur ce projet, qui s’est  traduit par plus d’une centaine de tableaux, de gravures et de  dessins, achevant le cycle complet en 1861.
      Benjamin  Lévesque s’est emparé du Fifre,  peut-être pour sa valeur emblématique (qui n’y penserait pas ?),  mais surtout parce qu’il constitue un support idéal pour sa propre  méditation sur la peinture en même temps qu’il lui offrait la  possibilité de méditer « à voix haute » sur le devenir de  cette peinture qu’il recherche. En effet, plus qu’une affirmation  de son style, de son caractère, de ses conceptions, il a agi à  l’inverse de Picasso. Si cette suite met en valeur son caractère  et, d’une certaine façon, sa maniera,  elle est aussi destiné à montrer plusieurs modes de peindre, des  attitudes qui peuvent sembler contradictoires. Sous ses pinceaux, le  fifre apparaît, disparaît quasiment, semble s’inscrire sur la  toile en palimpseste, semble parfois s’estomper. Il se déforme ou  est dévoré par le fond ou par des éléments superfétatoires.  Ainsi, l’artiste utilise toutes les ressources qui sont à sa  disposition (ressources techniques, bien sûr, mais surtout  ressources intellectuelles) pour en tirer des compositions pouvant  frôlant l’abstraction ou la « décomposition » sinon le  pastiche caricatural. 
      Les  titres qu’il emploie sont très déconcertants car ils font  allusion à des émotions ressenties dans un autre lieu que le musée  d’Orsay ou devant un sujet d’une autre nature. Monsignor  Guerra au gilet noir,  est et n’est plus tout à fait le fifre exécuté d’après Manet.  En somme, toutes les ambiguïtés de l’artifice de la peinture sont  convoquées ici et exaspérées. Mais toujours avec cette distance,  cette finesse et cette subtilité dont peut faire preuve Benjamin  Lévesque dans des tableaux qui, en dépit de leurs sfumature,  ne laissent pas indifférent. Il y a effectué des métamorphoses  profondes de tons, de dessins, de rapport de la silhouette du poseur  et du fond, qui n’est plus monochrome chez lui, mais une aire de  jeu de signes et de tonalités sourdes. En choisissant de s’exprimer sotto  voce (à première vue), il fait en sorte que les trafics pas toujours  très catholiques auquel il se livre et que la dénaturation du sujet  très « franc » de Manet qu’il pousse parfois jusqu’à un degré  élevé d’impudence, il parvient à nous attirer dans son antre et  accepter ces mises en scène plastiques. En réalité, en dehors du  thème choisi, il n’y a pas de cohérence formelle affichée dans  toutes ces pièces. Mais sans aucun doute la haute poésie qu’il  parvient à imposer, une étrange manière d’user de la couleur et  des formes dans des relations improbables, avec des chairs et des  obscurs ou avec des formes aux tons plus vifs qui se détachent sur  des ouvrages peu lumineux ont-ils créés une cohérence d’un genre  inédit.
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