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La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire

Bibliothèque de l’amateur d’art par Gérard-Georges Lemaire
L’Effrayable, Andréas Becker, La Différence, 256 p., 18 €.

Le parti-pris d’Andréas Becker a été de mettre la langue sans dessus dessous et d’inventer des formes de conjugaison aberrantes et des mots qui ne figurent dans aucun dictionnaire. Mais si la première impression serait de lire un texte qui aurait été écrit en collaboration par François Rabelais et Louis-Ferdinand Céline, on se rend vite compte qu’on peut très bien lire cette langue déclinée du français avec la plus haute fantaisie et un peu d’humour. L’histoire qui nous est racontée ainsi commence à Allemagne avant la dernière guerre et se poursuit en France, en partie sous l’Occupation. Il n’y a pas un narrateur mais deux, et les principaux personnages se dédoublent - à commencer par la narratrice, Angélique est en même temps Karminol.
Elle souffre d’un dédoublement de la pensée qui se traduit par un langage qui n’appartient qu’à elle. Elle est la prisonnière de son mal. Mais autour d’elle, se déroulent des événements souvent tragiques, parfois cocasses ou parfaitement banals. La vie se poursuit et elle en participe, sans jamais sortir de sa sphère réservée, forclose comme une cellule. Ce roman est d’une originalité indéniable. Mais ce travestissement des mots, des verbes, des règles de grammaire finit par absorber complètement l’attention du lecteur qui ne voit plus rien d’autre. En sorte qu’il peut perdre le fil de la narration. Et puis ces détournements linguistiques sont trop systématiques au point d’être prévisibles. C’est comme si on avait choisi des lunettes inappropriées. Cela n’empêche pas que ce livre soit assez curieux et fort pour qu’il retienne notre attention et nous captive. Il souffre de ce défaut de fabrication qui nous fait dire qu’Andréas Becker est allé trop loin - ou pas assez...

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Bibliothèque de l’amateur d’art par Gérard-Georges Lemaire
Poèmes de Wessex, Thomas Hardy, traduit et présenté par F. J. Temple« Poésie », Gallimard, 240 p., 6,90 €.

Thomas Hardy est bien connu du public français pour ses romane, qui semble être la conclusion d’un genre romanesque apparu au XVIIIe siècle. Le dernier de générations écrasantes de grands auteurs dont il marque peut-être le point le plus dur : sans doute, dans cette perspective particulière, tient-il la place de Zola dans la nôtre, mais sans le désir d’explorer chaque states de la société avec un souci de presque scientifique. Tess d’Uberville est une manière de réécrire Gaskell, les Brontë et Jane Austin d’une façon plus aride et surtout plus critique. En revanche, on ignore généralement son œuvre poétique, et moi le premier. J’ai donc découvert avec ravissement ce choix fait par F. J. Temple. Là encore, Hardy semble écartelé entre deux mondes, celui de son temps (souvenons-nous qu’il est né en 1840) et celui qu’il pressent en partie. Par rapport aux grands poètes victoriens (Swinburne, D. G. Rossetti, Christina Rossetti, Tennyson, entre autres), son langage est plus épurée, son phrasé plus fluide, son registre thématique, plus accessible et surtout ses référence moins alambiquées. Tout Anglais éduqué peut lire ces textes, ce qui n’est pas le cas pour la majeure partie des grands Victoriens. Il n’en est pas moins un poète raffiné, capable créer des ballades charmantes, comme « A Lizbie Brown », ou de longs poèmes narratifs tel que « les Capitaines de Casterbridge ». Il fait preuve alors d’une grande modernité dans son langage par la simplicité de son écriture. C’est flagrant dans l’ensemble de son œuvre et, en particulier, dans un morceau baptisé « Minuit d’août ». Dans « Amour perdu », on trouve une fluidité dans ce mode de dire ses pensées avec des mots simples et des tournures familières qui le rapproche de la poésie d’Apollinaire. En somme, Thomas Hardy poète doit entrer dans notre existence comme un compagnon qui nous parle avec douceur et un sens rare de l’ellipse pour nous rapprocher de ce que la poésie peut réaliser dans nos esprits et nos actions - non un guide spirituel, mais une conscience plus vaste et plus intense de notre relation au monde.

 

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