La  bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire

Une  nuit sur le mont Chauve, Michel  Butor/Miquel Barcelò, Editions de la Différence, 160 p.
Michel Butor écrit des poèmes et Miquel Barcelò dessine. Il y a une certaine cohérence entre la suite de poème de l’écrivain et les dessins spectraux du peintre. Le projet part de la fameuse pièce musicale de Modeste Moussorgski, Une nuit sur le mont Chauve, qu’a inspiré Nicolas Gogol avec sa « Nuit de saint Jean sur le mont Chauve ». Butor a choisi de composer son texte avec des strophes de quatre vers. Barcelò, pour sa part, a opter pour des figures dorées (eau de Javel et Gesso) sur fond noir. Ce qui engendre une sorte de résonance entre l’écrit et la peinture. L’ouvrage, dans son format allongé à l’italienne, est remarquablement réalisé. Même les mots imprimés en jaune sur fond noir, style que je n’apprécie guère en général, sont du meilleur effet et font corps avec les créations de l’artiste majorquin. Les poèmes ne sont pas toujours du meilleur Butor, mais le projet dans son ensemble est assez convaincant. Il est indéniable que Barcelò lui donne une dimension d’une force pleine d’angoisse et de mort qui transcende la poésie. En conclusion, c’est un livre pour amateur d’art plus que pour amateur de littérature, mais c’est un beau livre quoi qu’il en soit !

Contre-déclin,  Laurence Bertrand Dorléac, « Art et artistes », Gallimard, 320 p.,   24 €.
Cette  étude, telle qu’elle nous est présentée, semble une de ces  galipettes théoriques dont les théoriciens de l’art d’aujourd’hui  nous ont bien trop habitué. Rapprocher les noms d’Oswald Spengler  (1860-1936) et de Claude Monet paraît un peu forcée. Mais en lisant  l’ouvrage, on se rend compte que sa thèse repose sur des bases  sans doute singulières, mais solides. En effet, il faut se replacer  dans le contexte précis d’une époque. Le grand livre de Spengler,  qui l’a rendu célèbre dans le monde, le  Déclin de l’Occident, paraît  en 1918, à une époque où Monet est un vieux monsieur déjà  célèbre, qui a révolutionné l’art de la peinture. La guerre qui  va s’étendre dans une grande partie du monde, est un tournant  décisif dans notre histoire : des empires y sombrent, des  révolutions en résultent, un univers disparaît corps et bien  (celui que Proust décrit dans A  la recherche du temps perdu).  Pour comprendre ce que Laurence Bertrand Dorléac a en tête, il faut  introduire un troisième homme : Georges Clémenceau. Son nom va  rester dans l’histoire pour avoir été l »le père la  Victoire », l’homme qui n’a pas faibli alors que dans l’ombre  beaucoup s’étaient mis à douter. Mais cet homme inflexible ne  s’est pas contenté de ce destin. Il a voulu aussi que l’Histoire  se souvienne de lui comme un grand patron des arts, ce que l’Etat  n’était plus franchement en mesure d’assumer depuis l’abandon  du Salon en 1881 et son aveuglement devant la grande création  moderne. Clémenceau a été l’ami des peintres les plus audacieux,   et il a été d’abord l’ami d’Edouard Manet, qui a fait son  portrait. D’autres le suivront. 
              Clémenceau tenait beaucoup à que  son image soit véhiculée par ces artistes qui était assez mal vus  des critiques bien pensants et des salons mondains. C’est alors  qu’il a l’idée de commander au peintre presque aveugle une œuvre  considérable qui devrait être installée dans une salle  spécialement aménagée à cet effet. Ces Nymphéas représentent sans nul doute une  expérience unique en son genre dans l’art du début du XXe siècle.  Sans doute Monet avait été depuis longtemps regardé comme un  précurseur par ceux qui sont à l’origine du cubisme et le  fauvisme. Mais il incarne cet esprit français qui a le courage de  renverser les valeurs établies. C’est déjà un mythe et un  exemple de courage et de persévérance. De son côté Spengler,  s’appuie sur la philosophie de Nietzsche, mais ne l’adopte pas.  Il considère que le monde occidental a connu deux moments :  celui qui est qualifié d’apollinien avec l’Antiquité classique  et celui qu’il considère comme faustien et qui est le propre de la  modernité. Et il est patent qu’il opte pour cette modernité et se  révèle en phase avec le vitalisme iconoclaste d’un Marinetti  quand il fonde le futurisme. L’auteur pense à ce propos que Dada  et le surréalisme sont animé par un esprit vitaliste parallèle au  sien.
              En  somme, à partir de ces prémisses, l’auteur nous conduit à penser  sous un éclairage neuf la création artistique dans le monde  moderne, loin, très loin, de tous les clichés dont nous sommes  accablés.
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