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La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire

II Lettres

Bibliothèque de l’amateur d’art par Gérard-Georges Lemaire
Œuvres, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, sous la direction de Jean Canavaggio, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard, 1094 p., 45 €.

Dans le journal intime de Paul Claudel, on trouve cette réflexion à propos de Jean de la Croix, qu’il n’appréciait guère : il le considère « dangereux, très dangereux ». Quant à Thérèse d’Avila, elle est assignée à résidence à Tolède en 1576. L’Eglise de son temps l’a aussi considéré un individu suspect car l’Inquisition l’arrête et il est emprisonné - son évasion est du même tonneau que celle de Casanova des Piombi de Venise. Quant à Thérèse d’Avila, elle veut refonder l’ordre du Carmel sur ses bases primitives. Avant d’être officiellement reconnus par le pape, leurs agissements sont contestés et les jésuites mènent une offensive virulente contre eux. Dans un contexte trouble, marqué par la Réforme de Luther et par le Concile de Trente qui s’en suit en 1563, un an après le déclanchement des guerres de Religion, le désir de changement exprimé par ces deux carmélitains engendrent le doute et le soupçon. Ils triompheront et Thérèse d’Avila sera canonisée en 1634. Mais en dehors de ces questions théologiques, l’un et l’autre ont laissé un grand œuvre religieux qui est aussi un grand œuvre littéraire.
            En ce qui concerne Thérèse d’Avila, son œuvre majeure, de ce point de vue est sans aucun doute le Château intérieur, qu’elle a commencé d’écrire en 1577. Elle s’inscrit par une tradition qui prend racine dans l’histoire de l’Eglise, celle d’une mystique des ténèbres, qui a d’ailleurs été mise sous le boisseau, car les théologiens la regardaient avec suspicion. Ce que Thérèse fait avec le parcours initiatique à l’intérieur de ce château qui est le paradigme de l’âme part du présupposé suivant : l’âme est un palais adamantin, mais le péché l’a plongé dans des ténèbres impénétrables. L’être qui souhaite se rapprocher de Dieu et de sa lumière (et en même temps du caractère lumineux de son âme originelle) doit progresser dans l’obscurité totale. La description de cette pérégrination est un chant d’amour qui prend des tonalités presque charnelles et qui manifeste des sentiments complexes et contrastés. Cet ouvrage est une pure merveille et a sans aucun doute été au fondement de bien des méditations artistiques à l’époque avec les ténébristes, mais aussi au XXe siècle avec l’apparition d’une problématique spécifique du noir, qui nous amène aux problématiques de Beatriz Zamora et de Pierre Soulages.
            La poésie de Jean de la Croix est enflammée dans tous les sens du terme. Le feu est son élément (« O flamme d’amour vie », commence-t-il à dire dans « Chanson de l’âme ». Et, comme Thérèse, est fait de l’amoureux transis le suppôt de l’âme en quête de la perfection du divin. Lu dans un contexte différent, sa poésie prend un tour érotique, cela ne fait pas le moindre doute. Pour lui aussi, la nuit est le lieu où ce flamboiement peut prendre toute sa puissance («  Sa lumière jamais n’est obscurcie / et je sais que tout éclat en surgit, malgré la nuit », écrit-il dans « Chant de l’âme »). La sensualité est omniprésence et c’est elle qui conduit à l’immatériel suprême. La pureté de son style et la vivacité de ses images en font un des plus grands poètes du XVIIe siècle.

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Bibliothèque de l’amateur d’art par Gérard-Georges Lemaire
Némésis, Philip Roth, traduit de l’anglais par Marie-Claire Pasquier, Gallimard, 240 p.

Les média nous ont avisé voici peu de temps : Philip Roth a décidé de jeter l’éponge : il n’écrira plus de romans. Mais on en ignore les raisons. Est-ce le dépit de ne pas avoir reçu le prix Nobel ? Est-ce le sentiment d’avoir épuisé toutes les veines de sa ma minière qui lui a permis d’écrire quelques grands livres ? Ses précédent ouvrage, Exit le fantôme était pathétique : mal fait, il racontait l’histoire d’un individu qui ne parvenait pas à se réaliser. C’est vraiment un livre testamentaire où l’auteur se présentait sous l’apparence d’un acteur ne parvenant à se réaliser. En revanche, Némésis s’inscrit dans un cycle romanesque de caractère autobiographique où il met en scène le monde de son enfance américaine, la cité de Newark, et qui a donné l’un de ses chefs-d’œuvre, le Complot contre l’Amérique. Roth est remarquable quand il parle de l’histoire des Juifs émigrés aux Etats-Unis. Il est capable de mettre en scène cette petite communauté, qui est parvenue à s’intégrer plus ou moins bien dans l’Amérique dominée par les Européens, et puis dans une ville où les Noirs sont venus en nombre. Dans Némésis, il nous fait remonter dans le temps jusqu’à la fin de la dernière guerre. Il choisit comme figure emblématique de son histoire un jeune athlète, Bucky Cantor, qui entraîne des gamins dans un terrain de sport. Un beau jour lui et les gamins sont agressé par les jeunes Italiens car il n’y a plus guère que le quartier juif à ne pas être touché par une sérieuse épidémie de poliomyélite. Mais l’épidémie frappe quelques uns des protégés de Bucky, et plusieurs meurent de la terrible maladie qui avait frappé le président des Etats-Unis, F. D. Roosevelt. Bucky tient à jouer un rôle protecteur auprès des adolescents juifs de son quartier car il n’a pas pris part çà la guerre qui fait encore rage. Il décide de les emmener dans une belle région où se trouve un camp de vacances. Il connaît une belle profonde histoire d’amour avec une jeune fille encore vierge qui l’adore, Marcia. Tout semble idyllique dans cette nature sauvage. Mais des gamins tombent malades à leur tour et lui-même est touché. Bucky ne va pas mourir, mais demeuré très handicapé par les séquelles de ce mal qu’on ne savait alors ni prévenir ni guérir.
A la fin, il retrouve la femme qui n’a jamais cessé de l’aimer et lui explique pourquoi il n’a plus désiré la revoir alors qu’elle a continué à l’aimer. Cette fin a un côté mélodrame hollywoodien d’autrefois. Philip Roth set révélé une fois de plus capable de rendre avec une force rare ce qui fait l’essence d’un microcosme à une période donnée. Ce quartier nous devient familier et ses habitants sont nos voisins. Bucky Cantor fait partie de notre famille. C’est là où réside la force de l’écrivain. Mais il n’est parvenu à retrouver la force de ses grands romans. Il a encore le souffle, mais plus ce rapport avec l’Histoire qui rendait sa littérature si riche et si prenante.

 

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